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Un lanceur d’alerte est une personne qui révèle des informations concernant des actes illégaux, illicites ou contraires à l’intérêt général dont il a été témoin, notamment dans le cadre de son travail. Les lanceurs d’alerte, n’étant pas protégés par la loi, peuvent donc faire l’objet de dangereuses représailles.

En effet, très peu de pays africains ont des lois qui les protègent : C’est dans ce cadre qu’une plateforme des lanceurs d’alerte d’Afrique a été dernièrement mise en place afin d’inciter les gouvernements africains à se doter de lois fortes qui protègent cette catégorie spéciale d’informateurs. Il est donc particulièrement urgent de mettre en place une culture du travail qui respecte et protège les lanceurs d’alerte, avec l’appui de politiques et d’une réglementation adéquates.

Aucune loi ni politique ivoirienne ne contient de dispositions protégeant directement les lanceurs d’alerte. Une nouvelle Constitution a été approuvée par référendum en octobre 2016 et adoptée en novembre 2016. Elle prévoit la liberté d’exprimer et de diffuser ses idées. Cependant, ces libertés «s’exercent sous la réserve du respect de la loi, des droits d’autrui, de la sécurité nationale et de l’ordre public». Aucune disposition spécifiquement liée au lancement d’alerte ne figure dans la nouvelle Constitution ni dans les précédentes versions.

Le Code du travail ne prévoit aucune protection pour les lanceurs d’alerte. Les motifs légitimes de licenciement sont ambigus et incluent «une faute lourde de l’une des parties » et des « raisons personnelles», telles qu’une insuffisance professionnelle ou un « comportement fautif » pour des contrats à durée indéterminée. Il n’est pas clair si le lancement d’alerte peut être considéré comme un motif légitime de licenciement. Alors que toutes les formes de « harcèlement moral» sont interdites, le harcèlement en tant que représailles pour avoir dénoncé ou divulgué des informations n’est pas traité spécifiquement. Il est donc temps d’élaborer un texte juridique spécifique relatif à la protection des lanceurs d’alerte et des témoins. L’action devrait se renforcer par la sensibilisation de tous les acteurs impliqués dans la lutte contre la corruption et dans la protection des lanceurs d’alerte. En sus, il faut former de façon spécifique tous les acteurs impliqués dans la protection des lanceurs d’alerte.

Une des importantes dimensions de la lutte contre la corruption reste la protection des lanceurs d’alerte. Elle doit s’imposer comme un sujet de discussion dans les différents cercles de pouvoir.

La protection des lanceurs d’alerte est un élément nécessaire de toute stratégie cohérente de lutte contre la corruption, élément qui comporte d’autres mesures visant à intégrer une culture éthique dans les secteurs public et financier.

Ainsi sont concernés les passations de marchés publics, les services financiers, la prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme, la sécurité des produits, la sécurité des transports, la protection de l’environnement, la sécurité des aliments destinés à l’alimentation humaine et animale, santé et bien-être des animaux, la Santé publique, la protection des consommateurs…

Qui est protégé ?

La législation nationale sur le lancement d’alerte est passée de dispositions uniques dans différents types de codes et lois à des législations globales distinctes ou sectorielles. En ce qui concerne la protection, l’approche sans faille est devenue plus courante, en particulier dans les pays dotés de lois globales de protection des lanceurs d’alerte (OCDE, 2014). En somme, la protection devrait être étendue à grande échelle, afin de s’assurer que tous les types de parties prenantes sont protégés.

Par exemple, les lois du Royaume-Uni sur les lanceurs d’alerte qui s’adressent spécifiquement aux employés du secteur public sont particulièrement complètes, car elles protègent explicitement les sous-traitants, les employés temporaires, les consultants et les fournisseurs (gouvernement du Royaume-Uni, 1998).

Faits déclencheurs de protection

Le débat actuel sur la protection des lanceurs d’alerte tente de trouver un équilibre entre la nécessité de protéger la liberté d’information, d’une part, et la nécessité de protéger la confidentialité des informations, ainsi que la loyauté attendue des employés, d’autre part.

Les lanceurs d’alerte auraient recours aux canaux externes après avoir essayé, sans succès, les canaux internes. C’est le cas de la loi britannique sur les divulgations faites dans l’intérêt général de 1998, qui a défini une approche progressive, selon laquelle «chaque échelon comprend progressivement un seuil plus élevé de conditions à remplir pour que le lanceur d’alerte bénéficie d’une protection» (OCDE, 2010, para. 29). Le même système à trois échelons est proposé par la nouvelle directive européenne, avec :

 des canaux de signalement internes ;

 une voix de signalement aux autorités compétentes – dès lors que les canaux internes ne fonctionnent pas ou qu’il peut raisonnablement être supposé qu’ils ne fonctionneront pas (par exemple lorsque le recours à des canaux internes pourrait mettre en péril l’efficacité de mesures d’enquête menées par les autorités compétentes) ;

 «le signalement au grand public ou aux médias – lorsqu’aucune mesure adéquate n’a été prise après un signalement par d’autres canaux, en cas de danger imminent ou manifeste pour l’intérêt public ou encore en cas de préjudice irréversible» (Commission européenne, 2018).

Anonymat

La majorité des lois sur la protection des lanceurs d’alerte prévoient néanmoins des clauses de confidentialité afin de protéger l’identité du lanceur d’alerte, allant jusqu’à sanctionner la publication délibérée du nom d’un lanceur d’alerte. C’est le cas de l’Australie, de la Tunisie et de la République de Corée, qui imposent des peines allant de six mois à trois ans d’emprisonnement.

Mécanismes d’application de la loi

Pour faire appliquer ces mécanismes, la création d’un organisme indépendant, chargé de recevoir et d’examiner les plaintes des lanceurs d’alerte et d’y donner suite, est considérée comme une bonne pratique. Et cela pourrait comprendre des autorités compétentes, une agence administrative ou un organe administratif, un organisme de divulgation dans l’intérêt général. Il faut un vérificateur général, un avocat. Les organismes de lutte contre la corruption, un défenseur des droits, de la police et du procureur général, le cas échéant,  défenseur public, comme en Afrique du Sud, les organismes politiques compétents, les syndicats doivent travailler de concert dans ce cadre.

Incitations et récompenses financières

Au-delà de la confidentialité, un certain nombre de lois, telles que la loi des États-Unis sur les fausses déclarations (gouvernement des États-Unis d’Amérique, 1863), la loi Dodd-Frank et la loi de la République de Corée sur la protection des lanceurs d’alerte dans l’intérêt général, permettent aux organismes gouvernementaux (la Commission boursière (SEC) aux États-Unis et la Commission anti-corruption et des droits civils de Corée, respectivement) de récompenser financièrement les lanceurs d’alerte. Aux États-Unis, des récompenses peuvent être accordées aux « personnes admissibles qui fournissent des informations originales de grande qualité qui permettent à la Commission de prendre des mesures coercitives dans le cadre desquelles une sanction de plus de 1 000 000 de dollars est prononcée. La récompense atteint 10 à 30 % des sommes collectées.»

La notion de «bonne foi»

L’exigence selon laquelle les divulgations des lanceurs d’alerte doivent être faites de «bonne foi» est un élément principal de la plupart des législations sur la protection des lanceurs d’alerte. À ce titre, la protection n’est accordée que si le lanceur d’alerte agit en croyant, « sur la base de soupçons raisonnables », qu’une violation ou infraction a été commise. La protection est accordée si la condition susmentionnée est remplie, même si l’allégation n’est pas fondée.

Les allégations d’intention de nuire à l’employeur ou d’abuser des procédures de signalement pour obtenir un avantage sont couramment examinées par les tribunaux.

L’exigence de bonne foi vise à permettre aux employeurs de se concentrer sur la correction des actes répréhensibles présumés, principalement dans l’intérêt général. En outre, les lanceurs d’alerte « devraient être autorisés à fournir des preuves, lorsqu’elles sont disponibles légalement dans le cadre de leur travail, mais ils ne devraient pas être encouragés à agir de manière illégale ou répréhensible dans le but de fournir des preuves»

Tandis que le lanceur d’alerte mène un combat de David contre Goliath en se sacrifiant pour le bien de tous, l’environnement législatif et politique dans lequel il doit agir est fondamentalement dangereux. En Afrique, à peine une demi-douzaine de pays ont adopté des lois accordant une protection aux auteurs de révélations.

La Tunisie a adopté en mars 2017 une loi détaillée sur le lancement d’alerte, qui contient un article sur la protection des lanceurs d’alerte (Gouvernement de la Tunisie, 2017). Cette loi définit un lanceur d’alerte comme étant une personne qui a des suspicions raisonnables de méfaits commis soit dans le secteur public, soit dans le privé, y compris avec une mention spécifique d’institutions financières publiques et d’Etat.

Depuis le 23 février 2017, la Cedeao mène un travail de sensibilisation auprès des différents acteurs de la région et de ses partenaires, en faveur de la mise en place d’une stratégie de protection des lanceurs d’alerte. En offrant une protection aux lanceurs d’alerte, ont peut susciter des vocations.

Stéphane Badobré

 

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