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Monsieur le Procureur de la République près le Tribunal de Première Instance d’Abidjan Plateau, a produit ce samedi 27 avril, un communiqué à la suite de ma publication sur un fait judiciaire dont j’ai été le témoin.

Je voudrais remercier Monsieur le Procureur pour la promptitude avec laquelle il a produit ce communiqué, ce qui dénote d’une certaine volonté de transparence que je salue.

J’ai lu avec une attention particulière le contenu du communiqué et, je voudrais faire juste quelques petites observations.

D’abord le procureur écrit : « le vendredi 26 avril 2024, Monsieur Assalé Tiémoko Antoine, dans une publication sur les réseaux sociaux, a dénoncé l’interpellation et le placement en détention préventive du nommé K. H… »

Sauf erreur de ma part, la publication en question a été faite le samedi 27 avril à 8 heures. Il s’agit donc d’une erreur sur la date de la publication. Cette erreur est cependant rassurante car elle révèle que tout comme moi, Monsieur le Procureur de la République peut commettre des erreurs d’appréciation.

Ensuite, Monsieur le Procureur écrit : « Selon Monsieur Assalé Tiémoko Antoine, le susnommé a été enlevé par trois gendarmes (…) alors qu’il n’a fait qu’expulser son locataire en vertu de deux décisions de justice… »

Sauf erreur de ma part également, je n’ai jamais écrit que le prévenu «a été enlevé par trois gendarmes».

J’ai écrit : « Ce vendredi 26 avril, très tôt le matin, trois gendarmes débarquent au domicile d’un homme, et procèdent à son arrestation ». Je parle d’arrestation, pas d’enlèvement, deux termes qui ont une signification différente en droit. Monsieur le Procureur ne peut donc pas m’imputer le terme « d’enlèvement » qui est un acte illégal et que je n’ai pas employé.

Pour le reste, les faits que j’ai narrés ne sont pas liés au fond du dossier que je me suis bien gardé d’évoquer parce qu’il me semble qu’en agissant ainsi, j’aurais violé le secret de l’instruction, l’affaire ayant été déjà confiée par Monsieur le Procureur, a un juge d’instruction.

Cependant, Monsieur le Procureur lui, a évoqué le fond de l’affaire, contée dans les moindres détails. Sans doute des règles de procédure pénale que je ne maitrise pas, lui donnent le pouvoir d’évoquer publiquement le fond d’une affaire en instruction.

N’étant pas l’avocat du prévenu, il ne m’appartient pas de répondre à Monsieur le Procureur en rentrant dans le fond du dossier pour donner la version des faits de la partie défenderesse, version documentée que je connais cependant et qui est totalement différente des faits qui sont rapportés dans le communiqué de Monsieur le procureur.

Au cours du procès qui s’ouvrira sans doute rapidement puisque l’enquête semble bouclée, la version de la partie défenderesse pourra être publiquement donnée.

Au final donc, ma publication incriminée n’avait pas vocation à être une immixtion au sens juridique du terme, dans une procédure judiciaire ou à être interprétée comme telle ou encore à discréditer tout l’appareil judiciaire.

Cette publication, uniquement basée sur des faits dont j’ai été témoin oculaire, n’est, au-delà de sa forme (narration journalistique sous forme de satire au final), n’avait pour objectif que d’appeler à la prise en compte de la dimension humaine et cela du stricte point de vue des droits de l’homme, notre ministère en charge de la justice s’appelant « Ministère de la Justice et des Droits de l’Homme ».

Pour moi, un prévenu malade du cœur (c’est un fait), qui fait un malaise dans les locaux du tribunal (Monsieur le procureur reconnait qu’il a bien fait un malaise), n’a pas être conduit directement en prison. Des négligences des antécédents médicaux de nombreuses personnes placées en situation de stress ont parfois conduit à des drames.

En 2008, j’étais à la MACA, aujourd’hui Pôle Pénitentiaire d’Abidjan (PPA) quand un soir, sont arrivés au Bâtiment dit des « assimilés », les ex-détenus de la filière café-cacao. Parmi eux, le nommé Henri Kassi Amouzou (paix à son âme), lequel était cardiaque.

Dès que la porte de sa cellule a été refermée sur lui, il a fait immédiatement un malaise cardiaque. Alertés par les cris de son voisin, les responsables de la prison l’ont immédiatement sorti pour être interné dans une clinique où il a subi des soins appropriés, avant de retourner en prison plusieurs semaines plus tard.

Ce fait démontre que les personnes souffrant de problèmes cardiaques, placées en situation de stress peuvent être en danger de mort. C’est ce que j’ai voulu relever. L’inncarcération de ce genre de malade, tout comme pour toutes personnes malades, doit être décidée avec une main tremblante.

Monsieur le Procureur n’est pas de cet avis et dit qu’« après examen en urgence de l’inculpé, les agents du SAMU ont estimé que son état de santé ne nécessitait pas son évacuation dans un centre de santé ». Dont acte.

Je persiste cependant à penser que la place d’une personne souffrant de problèmes cardiaques et qui offre des garanties suffisantes de représentation, n’est pas la prison, à l’étape de l’instruction et avant une condamnation définitive.

Monsieur le Procureur était donc en droit de produire son communiqué pour faire les précisions qu’il a faites pour ce qui concerne l’état de santé de l’inculpé.

Après cela, de mon point de vue, la menace de poursuites judiciaires proférée à mon encontre dans le dernier paragraphe du communiqué, n’était pas nécessaire et n’avait pas à figurer dans ce communiqué.

Je n’ai jamais prétendu que j’étais au-dessus des lois du fait de « ma supposée notoriété » ou de ma qualité « d’élu ».

Aucun citoyen de ce pays, quelle que ce soit sa position sociale, ne devrait être au-dessus des lois et c’est ce qui est compatible avec l’exigence de l’Etat de droit dont la construction au quotidien, relève du comportement de chaque Ivoirien.

Je sais que je ne bénéficie d’aucune protection et qu’à tous moments, il suffirait que Monsieur le Procureur lève le petit doigt ou qu’il en reçoive l’ordre, pour que je me retrouve en prison, le peuple lui ayant confié ce pouvoir qui cependant, doit être utilisé avec discernement.

Mais la pleine conscience du fait que Monsieur le procureur peut ordonner mon arrestation à tous moments, ne peut m’amener à m’emprisonner dans le silence devant le fonctionnement des institutions de notre pays.

La justice est rendue au nom du peuple et le peuple a le droit de critique vis-à-vis de son service public de la justice. Monsieur le procureur devrait plutôt se réjouir du fait que des citoyens s’intéressent à leur manière, au fonctionnement du service public de la justice.

Cela prouve que le peuple a de l’intérêt pour son appareil judiciaire autrement Monsieur le Procureur devrait s’inquiéter.
Les citoyens ne doivent pas être réduits au silence pour leurs opinions sur le fonctionnement de leur justice.

Je voudrais, pour finir ces précisions, citer ce passage d’un discours de l’ancien très haut Magistrat, ancien président du Conseil Constitutionnel, Monsieur Koné Mamadou, paix à son âme, discours prononcé le 16 novembre 2011.

« (…) M’adressant en premier lieu aux principaux acteurs de la justice, c’est-à-dire les magistrats, je voudrais tirer la sonnette d’alarme. La vérité et la réalité du moment nous commandent que l’heure est grave. Par la faute de certains d’entre nous, le peuple au nom de qui nous rendons la justice, n’est pas loin de nous retirer sa confiance, si ce n’est déjà fait. Sur le tableau de bord de la vie de la nation, les clignotants nous concernant sont en passe de virer au rouge. Et si nous entrons en introspection, nous constaterons qu’objectivement, le peuple n’a pas tort de nous manifester de la défiance. En tout état de cause, nous ne pouvons avoir raison contre le peuple, car « Vox Populi, Vox dei (…) le peuple est le gendarme des juges ». Fin de citation.

Monsieur le Procureur, rassurez le citoyen que je suis, que je peux placer ma confiance dans le service public de la justice de mon pays.

En 2012, puis en 2013, si j’ai bonne mémoire, j’ai pris ma plume pour défendre des magistrats dont j’estimais qu’ils étaient victimes de pression et d’abus d’autorité, cela, au risque de ma liberté.
Ces écrits courageux ont permis à de nombreux magistrats qui n’avaient fait que leur travail, d’échapper à des sanctions injustes.

Il y a à peine cinq jours, j’ai pris ma plume à deux reprises pour défendre la cause des magistrats de 1ère instance dont j’estime qu’ils sont mal traités par notre pays et qu’il faut leur accorder, à travers des avantages indispensables, un peu plus de dignité pour qu’ils soient plus performants.

Cela est la preuve que, autant je dénonce les dysfonctionnements avérés ou supposés de notre service public de la justice depuis plus d’une decennie, autant je me bats pour que ses acteurs travaillent dans de meilleures conditions.
Je ne peux pas concevoir une justice crédible avec des magistrats aux conditions de vie précaires.

Ce n’est peut-être pas mon rôle de le faire, me diriez-vous, mais parfois, même les puissants ont besoins du soutien des faibles et tant qu’on n’a pas été rappelé par Dieu, il ne faut jamais insulter l’avenir en pensant qu’on est à l’abri de tout.

Voilà, Monsieur le Procureur, les précisions que j’entendais faire et encore une fois, je voudrais vous remercier pour la promptitude avec laquelle vous avez produit votre communiqué, elle est la preuve d’une volonté de transparence. Malheureusement, je ne peux vous répondre sur votre version des faits, pour ce qui concerne le fond du dossier.

Quant à ceux qui, du fait de la menace contenue dans le dernier paragraphe du communiqué, jubilent sur les réseaux sociaux et attendent impatiemment mon arrestation pour assouvir les besoins de leur ignorance des réalités profondes du pays, je voudrais simplement leur répondre avec Valentin Feldman, philosophe et écrivain français qui, en 1942, alors que ses bourreaux qui le conduisaient au lieu de son exécution se moquaient de lui, a lancé à leur intention, ce terrible cri : « Imbéciles, c’est pour vous que je meurs ».

Fait à Tiassalé, le 28 avril 2024

ASSALE TIEMOKO ANTOINE.

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