«La Côte d’Ivoire revient de loin. Il nous appartient de tout faire pour qu’elle ne retombe pas dans l’abîme. »
INTRODUCTION : LA PAIX COMME URGENCE NATIONALE ET MORALE
Trente-cinq ans après l’instauration du multipartisme, la Côte d’Ivoire se trouve à nouveau à la croisée des chemins. Alors que s’approche l’élection présidentielle d’octobre 2025, les évêques de Côte d’Ivoire élèvent leur voix, non comme de simples observateurs, mais comme des sentinelles de la paix.
Dans leur Lettre pastorale pour une élection présidentielle juste, transparente, inclusive et apaisée, ils rappellent que le pays ne peut bâtir un avenir solide sans justice, sans vérité et sans réconciliation véritable.
Ce message s’enracine dans une conviction spirituelle et civique : la paix n’est pas une option, mais une condition vitale de survie nationale. Elle ne naîtra pas de la peur ou du calcul politique, mais d’un engagement sincère à faire de l’élection présidentielle un moment d’unité et non de rupture. Les évêques soulignent que les scrutins passés ont souvent laissé derrière eux des blessures profondes – exclusions, fraudes, violences, divisions ethniques – qui ont entamé la cohésion nationale et la confiance du peuple dans ses institutions.
C’est pourquoi, dans une Côte d’Ivoire qui revient de loin, après tant de crises et de déchirements, les évêques appellent à replacer la paix au cœur du processus électoral. Ils invitent à des élections qui ne disqualifient personne, qui n’excluent aucun acteur de la vie politique, et surtout qui ne deviennent plus jamais une source de chaos.
1. LA RECHERCHE PERMANENTE DE LA PAIX : UN DEVOIR SPIRITUEL ET POLITIQUE
Les évêques voient dans chaque élection un test de maturité pour la démocratie
ivoirienne. Loin d’être un simple exercice administratif, le vote doit devenir un acte de foi dans la nation, un moment de communion citoyenne et de consolidation du vivre-ensemble.
Ils rappellent que la paix véritable se construit sur quatre piliers indissociables :
la vérité, la justice, l’amour et la liberté, selon les mots du pape Jean XXIII (Pacem in Terris). Cette paix doit s’enraciner dans le cœur des hommes, dans leurs paroles et leurs gestes, avant de se traduire dans les urnes et les institutions.
«Le moment est venu, écrivent-ils, pour les leaders politiques de penser la paix, de la préparer et de la faire vivre dans leurs discours comme dans leurs décisions. »
Cette quête de paix ne relève pas d’un idéal naïf. Elle suppose une conversion morale et civique, un dépassement des rancunes et des ambitions personnellespour placer l’intérêt national au-dessus des intérêts partisans. Les évêques insistent : nul n’a intérêt à semer la peur, la haine ou la désespérance dans le champ social. La vérité, même exigeante, demeure la seule voie vers la liberté et la réconciliation.
La paix, affirment-ils, ne saurait être réduite à l’absence de guerre. Elle se cultive jour après jour, dans le respect mutuel, la tolérance et la justice. Elle se protège comme un bien sacré, fruit de la sagesse et du courage de chaque citoyen.
2. DES ÉLECTIONS INCLUSIVES ET TRANSPARENTES :
UNE CONDITION DE STABILITÉ DURABLE
La CECCI consacre une grande part de sa réflexion à la qualité des élections.
Pour elle, une élection véritablement démocratique doit être ouverte, inclusive, transparente, crédible et apaisée. Ces principes, loin d’être des slogans, traduisent une exigence morale et juridique.
• Élection ouverte : tout citoyen remplissant les conditions légales doit
pouvoir voter et se porter candidat sans entrave ni discrimination.
• Élection inclusive : aucune partie du corps social ou politique ne doit être exclue arbitrairement du processus. Les évêques invitent à éviter les disqualifications sélectives, qui nourrissent la frustration et la rancune.
• Élection transparente et sincère : chaque étape du processus – de
l’enrôlement à la proclamation des résultats – doit se dérouler dans la
clarté, la régularité et le respect du droit.
• Élection apaisée : le scrutin doit se tenir dans la paix, la sécurité et la
dignité, sans violence ni discours de haine.
Les évêques mettent en garde contre la tentation de manipuler les institutions au profit d’un camp. Ils plaident pour une Commission Électorale Indépendante réellement impartiale et professionnelle, un fichier électoral consensuel et des candidats choisis selon le droit et la raison, non selon les rapports de force.
Ils soulignent que l’exclusion et la méfiance réciproque sont les premiers foyers du chaos. En disqualifiant des candidats ou en maintenant des conditions électorales opaques, on prépare le terrain à la contestation, à la rue et, parfois, à la guerre. Inversement, une élection inclusive, acceptée par tous, fonde la légitimité du pouvoir et la stabilité du pays.
«Rien ne vaut la paix d’une nation, rappellent-ils, car le respect des droits fondamentaux est la condition de la paix intérieure et extérieure.»
3. LA CÔTE D’IVOIRE REVIENT DE LOIN :
LE DEVOIR DE MÉMOIRE ET DE RESPONSABILITÉ
Les évêques rappellent avec gravité que la Côte d’Ivoire a trop souffert. Les
crises électorales de 2000, 2010 et 2020 ont endeuillé le pays, détruit des
familles et fragilisé le tissu social. Plus de 3 000 morts en 2010-2011, des
centaines d’autres en 2020 — autant de blessures encore ouvertes.
Leur message est clair : on ne peut plus jouer avec la paix. Chaque parole,
chaque décision politique doit être pesée à l’aune de son impact sur l’unité
nationale. Les évêques invitent à tirer les leçons du passé : la haine, l’exclusion,
la manipulation identitaire et la quête du pouvoir à tout prix conduisent
toujours à la ruine.
Ils interpellent donc directement les dirigeants, les partis politiques, la société
civile, les chefs religieux et les citoyens :
« La Côte d’Ivoire revient de loin. Il nous appartient de tout faire pour qu’elle
ne retombe pas dans l’abîme.»
Cette responsabilité, disent-ils, n’incombe pas seulement aux gouvernants, mais à chaque Ivoirien. Chacun doit contribuer, par ses paroles et ses actes, à désamorcer la peur, à désarmer la haine et à nourrir l’espérance.
4. LES APPELS DES ÉVÊQUES : BÂTIR LA PAIX ENSEMBLE
La CECCI formule une série d’appels et de recommandations concrètes :
• Aux institutions et au gouvernement : garantir des conditions électorales transparentes, sécurisées et équitables, en assurant l’indépendance de la Commission électorale et la sincérité du fichier électoral.
• Aux partis politiques : privilégier le dialogue au lieu de la confrontation, refuser les discours incendiaires et respecter les règles du jeu
démocratique.
• À la société civile et aux médias : éduquer à la paix, promouvoir une
information responsable et combattre la désinformation et la
manipulation.
• Aux citoyens : participer activement et pacifiquement à la vie politique, dans un esprit de fraternité et de tolérance.
• Aux responsables religieux et coutumiers : continuer à jouer leur rôle de médiateurs et de gardiens de la cohésion nationale.
Enfin, les évêques rappellent que la paix n’est pas le silence des armes, mais «la contribution généreuse et tranquille de tous au bien de tous», selon les mots de l’archevêque martyr saint Óscar Romero. Ils invitent chaque acteur de la vie nationale à répondre à cet appel à la responsabilité, en refusant la logique du mépris et du vainqueur absolu.
CONCLUSION : CHOISIR LA PAIX, BÂTIR L’AVENIR
La Lettre pastorale de la CECCI est bien plus qu’un texte religieux. C’est un appel prophétique à la conscience nationale, un cri d’amour pour la Côte d’Ivoire. Elle affirme que la paix ne naîtra pas d’un hasard, mais d’une volonté commune, lucide et courageuse.
Les évêques exhortent à une élection présidentielle 2025 «différente des précédentes», une élection sans haine ni exclusion, où le vainqueur soit respecté et les vaincus reconnus. Ils prient pour que cette élection soit un moment de grâce, un tournant historique vers la fraternité et le développement à visage humain.
«La paix se construit dans la vérité, la justice, l’amour et la liberté»,
rappellent-ils avec force. Et c’est à cette œuvre de vérité et de justice que chaque Ivoirien est appelé, pour que la Côte d’Ivoire demeure une terre de paix, de dialogue et d’espérance.
Par Père Hippolyte AGNIGORI

































