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À 70 ans, Allah Thérèse a déposé le micro dans la nuit de dimanche à lundi. Admise dans le centre hospitalier de Djékanou dans la matinée suite à un malaise, elle a finalement rendu l’âme, dans la nuit, aux environs de 23 heures. Elle aura marqué son temps. Figure légendaire du dernier Femua autour du thème «Femme, genre et développement», Allah Thérèse, dépositaire de la tradition musicale du centre de la Côte d’Ivoire, a longtemps accompagné Houphouët-Boigny dans ses déplacements. Son visage parcheminé s’éclaire d’un grand sourire quand elle parle de sa musique et du chant qu’elle a commencé très tôt. Très vite, elle a formé un duo inséparable avec son mari, l’accordéoniste N’Goran Laloi. Ce tandem a été brutalement interrompu par le décès de ce dernier le 20 mai 2018 à Konankokorékro. Il y a été enterré dans un cercueil particulièrement original… en forme d’accordéon. Elle ne s’exprimait que dans sa langue maternelle, le baoulé, et est aisément reconnaissable par tous les Ivoiriens. Toujours vêtue d’un pagne, elle était aussi connue pour sa coiffure qui lui a valu le surnom d’Akôrou Koffié, c’est-à-dire la femme de l’araignée, en baoulé. Elle aurait, selon son producteur Lucien N’dri, «la démarche de la perdrix de la savane baoulé». Dans les années 1960 et 1970, Allah Thérèse et son accordéoniste de mari ont porté haut le flambeau de la musique ivoirienne. Ils ont notamment chanté l’explicite «Indépendance», en référence à celle de la Côte d’Ivoire, officiellement le 7 août 1960. «Ce que je chante, ce sont des actes de la vie», expliquait-elle à un confrère. «Quand quelqu’un comme Houphouët Boigny pose des actes politiques forts, ça me pousse à les raconter dans mes chansons. Je conseille les gens dans mes textes. Je leur dis d’être à l’aise avec leurs voisins, d’entretenir des relations harmonieuses. Je chante l’harmonie. Quand je quitte le village pour Abidjan, je ramène mes messages de bon sens. Partout où je passe, je fais des suggestions à la population. Je donne un message de paix, de considération, de pardon. On peut se tromper, mais il faut savoir pardonner.» Avec N’Goran Laloi, la chanteuse a sorti au moins sept albums officiels. Le dernier, Bé gnanssou moayé, signifie «ce qui procure du bonheur». Dont la dédicace était prévue le samedi 8 février au centre culturel Jacques Aka de Bouaké (centre) à 15 h. Cette ode à la joie sera le chant du cygne de N’Goran Laloi.  Estampillée comme une chanteuse traditionnelle, Allah Thérèse assume la part de fusion de sa musique : «C’est un brassage», revendiquait-elle. «L’accordéon est un instrument fabriqué par les Européens. Les gens apprécient ce brassage.» Sans son époux, Allah Thérèse avait perdu le goût de la scène et envisageait de se retirer définitivement certainement après cette dédicace. Mais il était tout hors de question pour elle que son art ancestral disparaisse : «Il y a des personnes au village que je continue de former pour qu’il y ait une relève demain», annonçait-elle. Ces derniers pourront-ils porter le lourd héritage? L’avenir nous le dira. Adieu l’artiste. 

La Rédaction

 

 

 

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