Depuis des décennies, Alger entretient avec Téhéran des liens diplomatiques marqués par la médiation et une fidélité discrète dans les moments clés de l’histoire.
Mardi 8 avril, soixante jours avant le début de la guerre entre Israël et l’Iran, Abdelmadjid Tebboune reçoit au Palais d’El Mouradia le chef de la diplomatie iranienne Abbas Araghtchi qui lui transmet une invitation pour une visite officielle en Iran. Si cette guerre compromet définitivement ce voyage du président algérien au pays des mollahs, l’invite ne souligne pas moins l’excellence des relations algéro-iraniennes.
En effet, vendredi 13 juin, la diplomatie algérienne a vite fait de condamner l’offensive israélienne contre l’Iran en évoquant une «agression (qui) n’aurait pas été possible sans l’impunité dont jouit l’agresseur». Des trois pays du Maghreb, l’Algérie est ainsi la seule à exprimer un soutien sans ambiguïté à l’Iran. Les deux pays ont notamment en point commun de considérer Israël comme ennemi juré.
C’est qu’entre Alger et Téhéran, il y a une longue histoire de services rendus, de bons offices, de ruptures et de réconciliations. Dans les années 1970, à l’époque où Alger était la Mecque des révolutions, le président Boumediene s’est investi dans une opération visant à régler le vieux contentieux opposant l’Iran et l’Irak autour des frontières fluviales entre le Tigre et l’Euphrate. En mars 1975, au terme de plusieurs
mois de discussions sous le patronage des Algériens, le shah Mohammad Reza Pahlavi et Saddam Hussein signent à Alger un accord scellant la fin de ce conflit ancestral.
L’âge d’or de la diplomatie algérienne
C’était l’âge d’or de la diplomatie algérienne, dont l’Iran sollicitera les services quatre ans plus tard. Nous sommes en novembre 1979, onze mois après le début de la révolution islamique conduite par l’ayatollah Khomeini. Dans la foulée de ce soulèvement qui a renversé le régime du shah en l’obligeant à prendre la fuite, des centaines d’étudiants iraniens envahissent l’ambassade américaine à Téhéran et prennent 63 personnes en otages. L’Amérique est sous le choc et le monde suit au jour le jour cette affaire aux conséquences imprévisibles. Une dizaine de personnes parmi le personnel retenu par ces étudiants sont libérées.
La libération du reste des otages est d’autant plus compromise qu’une opération montée en avril 1980 par la CIA et baptisée «Eagle Claw» (serre d’aigle) tourne au fiasco dans le désert iranien. Cette mission impossible ternira la fin de la présidence de Jimmy Carter, auquel succédera Ronald Reagan. Comment faire plier les nouveaux dirigeants iraniens et faire revenir les otages au bercail ?
L’Algérie est alors approchée pour mener une opération de médiation qui sera conduite par le ministre des Affaires étrangères Mohamed Seddik Benyahia, fin négociateur et diplomate chevronné. La médiation algérienne est d’autant plus recherchée qu’Alger avait déjà été sondé en 1978 par le dirigeant chiite libanais Moussa Sadr pour offrir l’asile à l’imam Khomeini, avant que celui-ci ne trouve asile en France.
Après des mois de va-et-vient entre Washington, Paris et Téhéran, Benyahia parvient à faire signer le 19 janvier 1981 à Alger un accord aux deux parties au terme duquel les États-Unis s’engagent à ne pas intervenir dans les affaires internes de l’Iran et à lever le gel des avoirs iraniens. En contrepartie, l’Iran accepte de libérer les captifs. Le lendemain, les 52 otages américains foulent le tarmac de l’aéroport d’Alger après 444 jours de captivité. L’Amérique sera éternellement reconnaissante envers les Algériens. Les mollahs au pouvoir en Iran le seront tout autant.
Brouille entre 1993 et 2001
Alors que la guerre fait rage entre l’Irak et l’Irak depuis septembre 1980, enterrant ainsi l’accord de 1975 d’Alger, la diplomatie algérienne est à nouveau sollicitée pour jouer les bons offices afin de stopper cette folie meurtrière entre les deux voisins. Et c’est le même Seddik Benyahia qui est chargé de cette mission qui sera abrégée par un drame épouvantable. Lundi 3 mai 1982, le Grumman G2 qui transporte Benyahia de retour d’une mission à Téhéran survole la frontière turco-iranienne quand il est pulvérisé par un missile tiré d’un avion. Le ministre algérien, huit membres de sa délégation ainsi que les quatre membres de l’équipage périssent.
Qui a abattu l’avion des négociateurs ? Irakiens et Iraniens se rejettent la responsabilité.
Mais après des mois d’enquête, les Algériens présentent à Saddam Hussein, dans son palais à Bagdad, les résultats de leurs investigations. Mis devant le fait accompli, Hussein reconnaît la responsabilité de son aviation et propose des compensations qu’Alger déclinera. Ironie du sort, Seddik Benyahia avait échappé à la mort une année plus tôt lorsque son avion s’était écrasé près de l’aéroport de Bamako, au Mali.
Pour une bonne partie des Algériens, le régime théocratique d’Iran manquera de gratitude et de reconnaissance. Au début des années 1990, la mouvance islamique est aux portes du pouvoir en Algérie grâce notamment au soutien de l’Arabie saoudite et de l’Iran. Lorsque le pays bascule dans la guerre civile à partir de janvier 1992, l’armée et les services de renseignements algériens sont convaincus que les Iraniens aident et financent les groupes islamiques armés qui sèment la terreur.
Tant et si bien qu’en mars 1993, Alger rompt ses relations diplomatiques avec Téhéran et rappelle son ambassadeur au Soudan, cet autre pays qui soutient les terroristes algériens. La brouille durera jusqu’en 2001 quand le président Bouteflika décide de retisser les liens avec l’Iran. Il s’y rendra d’ailleurs à deux reprises en 2003 et 2008.
Il devait même y retourner en 2010, mais le voyage est annulé. À son tour, il accueillera à Alger Mohamed Khatami en 2004 et Mahmoud Ahmadinejad en 2007 et 2010. À l’époque, les dirigeants iraniens pouvaient compter sur Bouteflika pour soutenir le «droit de l’Iran d’acquérir la technologie nucléaire à des fins pacifiques».
Par Farid Alilat- 18 juin 2025 (Le Point)