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M. Koné Alexandre, Procureur de la ville de Soubré, livre à travers cette interview la vision du Ministère de la Justice et partant des autorités ivoiriennes face au phénomène de traite, d’exploitation et de travail des enfants.
Mesdames et Messieurs,
Comme vous le constatez une opération vient d’être engagée en vue de procéder à la répression des infractions commises relativement à la traite des personnes, à l’exploitation et au travail dangereux des enfants. Je voudrais vous rappeler les textes qui existent en la matière. Nous avons la loi datant de 2010-272 du 30 septembre 2010 portant interdiction de la traite et des pires formes de travail des enfants. Nous avons également la loi 2016-1111 du 08 décembre 2016 relatif à la traite des personnes. Et la dernière innovation, c’est notre code pénal qui a été rénovée en 2019 qui prescrit en son article 433 du travail dangereux des enfants et en ces articles 441, 442 et 443, la réduction à l’esclavage. C’est vous dire que l’arsenal juridique existe et qu’il est à notre disposition. Nous sommes chargés de la poursuite des infractions qui sont contenus dans ces textes que je viens de vous citer. Je voudrais aussi ajouter que la chancellerie (le Ministère de la Justice et des Droits de l’Homme, Ndlr) en 2019 a produit une circulaire demandant à tous les parquets près les tribunaux de la Côte d’Ivoire de poursuivre toutes les infractions à la loi pénale et les infractions que vous connaissez tous. Mais un point essentiel a été indiqué par la Chancellerie, c’est le point de la sensibilisation. Il a été demandé aux différents parquets dans les ressorts territoriaux où ils résident de sensibiliser les populations sur les graves conséquences de ces infractions sur nos populations et sur nos enfants. Nos enfants doivent avoir un épanouissement. Ils doivent avoir une bonne éducation. Et quand ils sont enfants, leur place est à l’école d’abord. Et ensuite, leur développement physique et intellectuel va se faire progressivement. Et ce sont ces valeurs qui fondent bien entendu l’action de la Chancellerie qui est attachée à ses valeurs et qui s’inscrit donc dans le cadre de cette lutte. Je voudrais préciser également que notre chancellerie est partie prenante avec tous les acteurs qui militent pour la lutte contre la traite, l’exploitation et le travail des enfants. Je voudrais citer le décret ministériel qui a été pris en 2011 qui a institué le Comité Interministériel de lutte contre la traite, l’exploitation et le travail des enfants (CIM). Dans ce comité, nous avons un représentant du Ministère de la Justice. Au total, vous comprenez avec nous que nous n’avons pas baissé les bras, et que nous sommes tous engagés dans cette lutte pour que nos enfants grandissent dans de bonnes conditions. Et que notre économie soit saine. Voici un peu résumé ce que je peux vous dire pour les actions qui sont menées par le Ministère de la Justice.

Dans l’opération qui a été menées hier, est-ce que les parents mis en cause ont été entendus par vous ? Est-ce qu’ils seront sanctionnés ? Quelle sera la procédure pour ces parents ?

Nous l’avons dit. Il y a un élément important qu’il faut inclure. Il s’agit de la sensibilisation. Les poursuites sont engagées dans le cadre de l’opération qui est menée depuis hier. Tous les auteurs des infractions vont faire l’objet d’une procédure. Et cette procédure a commencé déjà hier. Ce matin, j’étais au commissariat avec le commissaire Zaka Luc, responsable de la sous-direction de la police criminelle en charge de la lutte contre la traite des enfants et de la délinquance juvénile, pour que chacun des mis en cause sera entendu et les victimes aussi seront entendus. Vous avez souligné qu’à Méagui, des parents sont concernés et qu’ils se sont rendus au centre. Si nous constatons que ces parents ne se sont pas rendus coupables d’une infraction aux lois qui existent, alors ces parents ne feront pas l’objet de poursuite. Mais si nous constatons que ces parents ont commis des infractions, même s’il s’agit des parents biologiques des enfants, ils seront sanctionnés suivant les procédures qui existent. Donc je voudrais aussi préciser que pour la Chancellerie estime que c’est la tolérance zéro. J’ai précisé tout à l’heure que nos enfants doivent connaître un épanouissement sain et doivent évoluer dans de meilleures conditions parce que c’est l’avenir de demain. Si nous ne prenons pas nos responsabilités en tant qu’éducateurs chacun à son niveau, c’est sûr que demain, nous serons surpris de ce que sera la société. Il est important qu’aujourd’hui, nos enfants soient dans de bonnes conditions pour avoir une bonne éducation et espérer avoir demain, une société qui évolue dans de meilleures conditions.

Est-ce qu’auparavant votre tribunal a déjà eu à juger et condamner des prévenus qui se seraient coupables de trafic d’enfant dans votre zone ?

En effet dans le cadre de la lutte contre la traite, l’exploitation et le travail des enfants nous avons connu des cas. Nous avons même établi des statistiques de 2015 à 2020 que la Chancellerie avait demandés dans le temps pour montrer le travail qui est fait dans les différentes juridictions. A l’instar de d’autres Juridictions par exemple Abengourou, Bouna et à Soubré effectivement la dernière décision en date a été prise le mois passé. Un monsieur qui est venu d’un pays limitrophe et qui est venu en Côte d’Ivoire avec un enfant qui n’avait aucun document d’identité et qui disait venir le faire travailler dans une plantation à Méagui. Il a été pris par les éléments de la sous-direction de la police criminelle en charge de la lutte contre la traite des enfants et la délinquance juvénile qui a été installée à Soubré. Nous avons fait la procédure. Le monsieur a été jugé suivant la procédure de flagrant délit. Il a été condamné à 10 années de prison. Pour vous dire qu’effectivement nous appliquons les textes conformément aux instructions de la hiérarchie.

Pour un tel cas, est-ce que vous n’estimez pas qu’une peine d’emprisonnement de 10 ans ne soit pas trop excessive alors qu’on aurait pu procéder par la sensibilisation ?

Nous estimons que le plus important c’est de tenir compte de l’intérêt supérieur de nos enfants. Et l’intérêt supérieur des enfants est en jeu. On ne peut pas transiger sur l’intérêt supérieur des enfants. Un adulte qui prend un enfant mineur et qui traverse tout un pays pour un autre pays juste pour l’exploiter, je dis que ce n’est ni faisable, ni tolérable. Donc 10 ans, c’est une décision qui est bonne. Aussi, pour que les populations comprennent qu’il faut aller à ce qui est important. Et ce qui est important, c’est que la vie des enfants n’est pas dans les plantations où ils seront exploités. Et finalement quand ils grandissent, ils ne le font pas dans l’épanouissement.

M. le procureur, est-ce qu’il y a une procédure spéciale pour que les enfants soient pris en charge dans le centre d’accueil ?

Nous saluons l’apport du cabinet de la Première Dame pour l’institution de ce centre parce qu’avant son existence nous n’avions pas de structure adéquate pour accueillir ces enfants. La présence de ce centre, permet donc de les recueillir et de rechercher donc un cadre nécessaire pour les accueillir. Pour notre cas précis, des mesures sont prises avec les partis prenantes pour trouver des solutions pour resocialiser ces enfants ou bien les intégrer dans des structures. S’il y a lieu de les confier à leurs parents ou à d’autres personnes ou d’autres structures spécialisées, c’est en accord avec les autres ministères que cela se fait. Pour notre part, nous poursuivons les infractions à la voie pénale et pour ce qui est de l’encadrement des enfants, nous saisissons également le juge de tutelle pour organiser toutes ces choses en accord avec le partenariat des autres ministères.

Quels messages de sensibilisation pouvez-vous adresser aux populations ?

Comme nos vieux sages le disaient : « l’économie de ce pays repose sur l’agriculture ». Mais en même temps, nous avons le devoir d’éduquer nos populations. Ce devoir d’éduquer les populations, c’est de leur faire prendre conscience de la nécessité de l’intérêt national. Cet intérêt général s’appuie sur certains points précis. Ceux qui commettent des infractions à la loi pénale seront poursuivis. Nous demandons donc à nos parents, à nos frères et sœurs qui commettent ces infractions qui pour la plus part encourent des sanctions graves de cesser. Car conformément aux instructions de la Chancellerie, c’est la tolérance zéro pour ces personnes qui commettent ces infractions. Parce que je le dis et le répète, l’enfant est une valeur et il faut le préserver. Et nous devons tous accompagner ces enfants afin qu’ils grandissent sereinement.

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