PARTAGER

Par Dr Ahoua DON MELLO

Comme un cadeau de Noël, le 21 Décembre 2019, Emmanuel MACRON annonce la fermeture du compte d’opération et donc fait sauter le boulon central de la Françafrique. La surprise était de taille, tant, de 1963 à 2011, du Président Togolais Sylvanus Olympio au Président Ivoirien Laurent GBAGBO, beaucoup de Chefs d’Etats ont perdu le sommeil, la vie, le pouvoir ou la liberté en évoquant la question tabou du FCFA. La résignation face au tabou du compte d’opération était devenu une stratégie de conquête du pouvoir des opposants même de gauche. Ils jugeaient suicidaires d’en parler dans leur
programme de gouvernement et les Présidents successifs de la France pensaient à toutes les réformes sauf à celle-ci.
Saluons donc le courage politique d’Emmanuel MACRON d’avoir réaliser le Big Bang de la souveraineté des Etats de l’Afrique Francophone. Il a fait sa part de chemin, reste à la classe politique francophone et à ses peuples de reprendre les tenailles pour faire sauter les derniers boulons afin que naisse l’ECO souverain en lieu et place de l’ECO-CFA que défendent certains Chefs d’Etats Francophones.

HISTORIQUE DE L’ECO
La Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a été lancée en 1975. Un de ses objectifs majeurs est l’institution d’une monnaie unique pour tous ses États membres. A cet effet,
la Conférence des Chefs d’État et de Gouvernement de la CEDEAO a pris la décision d’instaurer une zone monétaire en Afrique de l’Ouest. Dans le cadre de la mise en œuvre de cette décision, le Programme de Coopération Monétaire de la CEDEAO (PCMC) a été conçu. Ce programme a été adopté en juillet 1987. Il prévoyait notamment l’harmonisation des politiques monétaires et financières des Etats membres requises pour le lancement de la monnaie unique. Dans cette perspective, une approche en deux étapes avait été retenue. Tenant compte de l’existence de l’Union Monétaire Ouest Africaine (UMOA), il avait été envisagé, dans un premier temps, la création d’une
monnaie commune pour les pays non membres de l’UMOA, regroupés au sein de la Zone Monétaire de l’Afrique de l’Ouest (ZMAO). La seconde phase serait consacrée à la fusion des deux zones monétaires. Après plus de quarante ans d’existence de la CEDEAO et 32 ans après le lancement du PCMC, il est donné de constater que la seconde union monétaire ne s’est pas constituée et la monnaie unique de la CEDEAO est toujours attendue. Que s’est-il passé ?

QUELQUES PRINCIPALES ETAPES DU PROCESSUS DE CREATION DE LA MONNAIE UNIQUE

Le PCMC a été adopté en 1987. Toutefois, au regard des retards enregistrés dans sa mise en œuvre, les Autorités de la CEDEAO ont décidé, en décembre 1999 de la mise en place d’un dispositif de surveillance multilatérale. Ce dispositif était assorti de critères pour mieux coordonner les politiques économiques des États membres et la convergence des économies nationales.
L’approche en deux étapes a été réaffirmée et précisée. L’échéance de 2003 a été fixée pour la création d’une monnaie unique pour les pays non membres de l’UMOA, regroupés au sein de la Zone Monétaire de l’Afrique de l’Ouest (ZMAO). Un an plus tard, soit en 2004, l’UMOA et la ZMAO devraient fusionner pour générer la monnaie unique de la CEDEAO.
Afin de montrer leur engagement dans ce processus, la Gambie, le Ghana, la Guinée, le Liberia, le Nigéria et la Sierra Leone ont, en décembre 2000, signé l’Accord portant création de la ZMAO.
Toutefois, la mise en œuvre du PCMC a enregistré d’importants retards. Les efforts en terme de  convergence macroéconomique et d’harmonisation des statistiques n’ont pas abouti à des résultats satisfaisants.
Les raisons de ces échecs tiennent essentiellement au caractère extraverti des économies qui, pour l‘essentiel, n’ont d’échanges qu’avec l’ancienne puissance coloniale. Dans ces conditions, les accords monétaires avec ces anciennes puissances coloniales ou avec le FMI sont préférables aux engagements communautaires. Ils sont plus prompts à être de bons élèves des anciennes puissances coloniales ou du FMI qu’à être de bons élèves de l’intégration monétaire de la CEDEAO. Les relations asymétriques
qui découlent des économies extraverties, entraînent l’instabilité des performances
macroéconomiques des États membres de la CEDEAO, elle-même liée à leur sensibilité aux chocs exogènes. Cette situation a provoqué plusieurs reports d’échéances. Celle de 2003 pour la création de la monnaie unique de la ZMAO a été reportée à 2005, puis 2009 et finalement à 2015.
Les renvois répétitifs des dates portaient les germes d’un enlisement total du projet. Consciente de ce risque, la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de la CEDEAO a décidé de réagir.
En octobre 2013, le Président de la République du Niger, Son Excellence Monsieur Issoufou MAHAMADOU et son homologue du Ghana, Son Excellence Monsieur John Dramani MAHAMA, ont été mandaté pour assurer un rôle d’impulsion, de redynamisation et de suivi de ce chantier. En vue de les assister, une Task Force Présidentielle a été constituée. Elle est composée des Ministres chargés des Finances du Niger et du Ghana, des représentants des deux Présidents, des Gouverneurs des banques centrales de la CEDEAO ainsi que des Directeurs Généraux de l’Agence Monétaire de l’Afrique
de l’Ouest (AMAO) et de l’Institut Monétaire de l’Afrique de l’Ouest (IMAO).
En mars 2014 à Yamoussoukro en Côte d’Ivoire, sur proposition de ces deux Chefs d’Etat, la Conférence a adopté l’approche progressive, en remplacement de la stratégie dite à deux étapes.
Dans ce schéma, le lancement de la monnaie unique interviendrait avec les Etats membres de la CEDEAO ayant respecté les critères de convergence de premier rang avant 2020. Les autres pays y adhéreraient au fur et à mesure qu’ils observeraient les critères définis.
Confirmant leur choix, les Hautes Autorités de la CEDEAO ont approuvé le 10 juillet 2014 à Accra au Ghana, de nouveaux critères de convergence. Ces critères sont les suivants :
• premier rang
– les réserves de change doivent être supérieures ou égales à 3 mois d’importations ;
– le déficit budgétaire, sur la base des engagements et dons compris, par rapport au PIB doit être inférieur ou égal à 3% ;
– l’inflation annuelle moyenne doit être inférieure à 10%, avec l’objectif d’atteindre un taux inférieur ou égal à 5% en 2019 ;
– le financement du déficit budgétaire par la banque centrale doit être inférieur ou égal à 10% des recettes fiscales de l’année précédente ;
• deuxième rang
– la dette publique rapportée au PIB doit être inférieure ou égale à 70% ;
– la variation des taux de change nominaux doit être de plus ou moins 10%.
Dans le but de renforcer le pilotage du processus, les Chefs d’Etat ont demandé en mai 2015, à leurs homologues du Nigéria et de la Côte d’Ivoire de s’investir également dans ce chantier, aux côtés de  leurs collègues du Niger et du Ghana. Toutefois, en dépit de la volonté politique affichée et des efforts déployés, la marche vers la monnaie unique a été ralentie par des contraintes internes à certains pays.

ENTRAVES A LA PROGRESSION DU PROCESSUS

Les raisons de l’enlisement apparent du processus de création de la monnaie unique de la CEDEAO sont diverses. Celles souvent citées se rapportent au non-respect des critères de convergence absolument nécessaire, pour donner toute sa viabilité à une politique monétaire commune.
Les raisons d’ordre technique qui sont évoquées, cachent en réalité des enjeux d’influences économiques et monétaires :
• Les accords monétaires qui régissent les pays de l’UMOA avec la France constituaient le
premier obstacle. Certains pays de l’UMOA n’ont pas la volonté d’abandonner les accords
monétaires avec la France au profit de l’Eco. Ils craignent de devenir de mauvais élèves de leur ancienne puissance coloniale et donc de subir un coup d’Etat ou une guerre et ne plus jouir de la protection de l’armée française. Ils manœuvrent donc pour imposer le franc CFA à la CEDEAO en changeant de nom. Les Etats jaloux de leur souveraineté ont opposé une fin de non-recevoir à cette monnaie ECO-CFA.
• La crainte de l’hégémonie du Naira Nigérian dont la toute-puissance risque de faire du Nigéria l’avant-centre et l’arbitre du jeu de la monnaie unique.
Ces craintes se traduisent par le peu d’empressement à respecter les engagements de la CEDEAO et le zèle à respecter les engagements avec l’ancienne puissance coloniale et les engagements avec le FMI.
A titre d’illustration, dans la feuille de route pour la monnaie unique figurent entre autres:
– la mise en place d’un mécanisme de change ;
– la libéralisation des comptes courants et de capital avec pour conséquence la libre circulation des capitaux ;
L’ensemble des activités susmentionnées constitue un préalable à l’instauration d’une monnaie unique. Toutefois, pour ces sujets d’importance cruciale, aucune échéance n’a été déterminée dans la feuille de route qui demeure donc inachevée.
A ce niveau, il y a lieu de relever que, le 29 juin 2019 à Abuja, les Chefs d’État ont pris d’importantes décisions.
– le nom de la future monnaie unique a été retenu (ECO) ;
– le régime de change flexible assorti d’un cadre de politique monétaire axé sur le ciblage de l’inflation
-le système fédéral pour la banque centrale, a été adopté.
La fédération d’une partie des devises au sein de la Banque Centrale Fédérale, le régime de change flexible choisi pour l’ECO, ont pour conséquences la mort du compte d’opération et le régime de change fixe entre l’Euro et le franc CFA et donc la fin de la françafrique ; ce qui explique le peu d’enthousiasme qui a animé la Côte d’Ivoire de OUATTARA et son empressement à se rendre en France à la fin du sommet pour exprimer une position dissidente de celles de ses pairs après la réunion du 29 Juin à Abuja et proposer l’ECO-CFA en lieu et place de l’ECO souverain de ses pairs.
La libre circulation des capitaux, la stabilité monétaire et le régime de change flexible qu’apportera un ECO souverain, a pour conséquence à moyen et long terme l’introversion des économies ouest africaines et une grande impulsion à la mise en œuvre de la Zone de Libre Echange Continental (ZLEC) adoptée par les chefs d’Etat de l’UA en 2019.
Le Nigéria qui vaut plus de 70% du PIB de la CEDEAO vit essentiellement du pétrole. Lorsque les cours de ce produit de base montent, tous les indicateurs de convergence au Nigéria passent au vert.
Cependant, ils virent au rouge dans les autres pays de la CEDEAO et vice versa, ce qui donne une plus grande résilience à l’ensemble des économies de la CEDEAO.
Face à ces opportunités et ces menaces, seule une véritable volonté politique affirmant la primauté des intérêts de la CEDEAO aux intérêts particuliers ou externes à la CEDEAO peut permettre de tirer profit des opportunités qu’offrent l’ECO et réduire les menaces.
Le coup de pouce de MACRON contre la volonté de son obligé, restera comme un goût d’inachevé si le régime en Côte d’Ivoire est toujours sous le contrôle de ceux qui rêvent encore d’être plus Français que les Français.

CONDITIONS DE SUCCES DU PROCESSUS

Au vu de la feuille de route de la CEDEAO pour la création de l’ECO, il y a encore du chemin pour attirer les membres de la ZMAO et les solutions proposées par Macron, à savoir, la garantie de l’ECO par la France et le maintien de la parité fixe sont encore des boulons qui font obstacle à la feuille de route de l’ECO souverain. Elles ne peuvent qu’être provisoires et une bouée de sauvetage pour l’économie ivoirienne dont 9 ans de croissance extravertie ayant engendré 9 ans de balance des paiements
négative ont mis à mal ses réserves reconstituées sous Laurent GBAGBO. Le dégraissage de MACRON en France en prévision de l’abandon du matelas financier du compte d’opération entrain de devenir un fardeau, ne laisse plus de marge de manœuvre pour une garantie budgétaire du Franc CFA. La fermeture du compte d’opération permet donc au trésor français d’éviter le fardeau de l’assèchement des devises de la Côte d’Ivoire, pilier central de l’UMOA et ne laisse qu’une seule éventualité : la garantie bancaire en lieu et place de la garantie budgétaire par le trésor français avec pour conséquence le gonflement de la dette extérieure de la Côte d’Ivoire qui a déjà dépassé en 9 ans ce qu’elle avait atteint en 50 ans avant le PPTE.
Un processus d’approbation référendaire devait être engagé pour des débats publics autour de l’ECO dans chaque pays membre pour que les peuples soient responsables de leur destin monétaire.
Ensuite, la résolution de la contradiction majeure du compte d’opération ouvre la voie pour la mise en pratique d’un autre message politique attendu de MACRON : la libération de Laurent GBAGBO, martyr et symbole de ce Big Bang, déporté par la France comme à l’époque coloniale ; cette époque que MACRON considère comme une faute de la République. Laurent GBAGBO a la légitimité de cette victoire et doit donc prendre part au débat sur l’avenir de l’ECO et conduire à bon port ce projet que OUATTARA risque de dévoyer en signant de nouveaux accords qui créent un clone de la françafrique pour le malheur de l’avenir des relations Franco-Africaines.
Enfin, comme l’exprimait Emmanuel MACRON en 2017 pendant sa campagne électorale et je cite :
«La colonisation est un crime ». Si cette phrase a rompu un autre tabou en France, c’est la conception profonde de tous les Africains dignes.
Mais la colonisation en Afrique est la fille de l’esclavage qui a été aboli sans que le Code noir qui est sa base juridique et culturelle ne le soit. Ce Code, qui accordait plus d’importance au fruit du travail du nègre qu’au nègre lui-même, régit encore les rapports entre l’Afrique et l’Europe.
En effet, l’uranium africain éclaire plusieurs villes Européennes ; le pétrole fait tourner usines, véhicules et avions ; le fer, la bauxite et l’hévéa sont transformés en machine, véhicules et avions. Le cacao, le café, les fruits tropicaux sont consommés par tous en Europe. Tous ces produits africains sont bien accueillis en Europe sauf les Africains eux-mêmes qui suscitent l’émergence des partis d’extrême droite et les mettent au cœur de la problématique de l’immigration. Même les projets de développement en Afrique financés par les bailleurs de fonds mettent l’accent sur le cadre de vie des oiseaux, des chimpanzés et des babouins au nom de la protection de l’environnement plutôt que le niveau et le cadre de vie des Africains. Par conséquent l’ECO ne sera solide que s’il est soutenu par un ambitieux projet politique, infrastructurel et industriel commun qui rompt avec l’économie coloniale et renforce la position politique et économique des Africains dans le concert des Nations et améliore leur niveau et cadre de vie.

Joyeux Noël 2019 !

PARTAGER