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Les traversées illégales de la Manche par des migrants cherchant à gagner le Royaume-Uni ont provoqué ces derniers jours de nouvelles crispations entre Paris et Londres. Côté britannique, on accuse les Français de ne pas en faire assez pour les en empêcher, quand du côté français, on accuse à nouveau le gouvernement britannique de ne pas respecter ses engagements. Un épisode qui témoigne du malaise grandissant entre les deux pays.

Après les conflits nés de la mise en application de l’accord du Brexit ou les tensions provoquées par la « crise des sous-marins », les deux voisins n’en finissent pas d’échanger menaces, accusations et invectives.

Depuis quelques semaines, c’est la question des migrants qui tourmente Français et Britanniques. Entre le 1er janvier et le 31 août, 15 400 migrants ont tenté la traversée, contre 9 500 personnes pour toute l’année 2020. Pour contrer cette hausse des passages, le gouvernement de Boris Johnson, bien décidé à mettre en œuvre sa promesse de « reprendre le contrôle de nos frontières », a désigné son coupable favori : les « Frenchies ».

French bashing

À l’offensive, la ministre britannique de l’Intérieur, Priti Patel, menaçait le 9 septembre de refouler les migrants interceptés dans la Manche vers la France, quitte à modifier l’interprétation par le Royaume-Uni du droit maritime international.

Autre menace : celle de ne plus payer les 62,7 millions d’euros que son gouvernement avait promis fin juillet pour financer le renforcement du dispositif de surveillance des côtes par les forces de l’ordre françaises.

Son homologue français, Gérald Darmanin, avait rétorqué que « la France n’acceptera aucune pratique contraire au droit de la mer, ni aucun chantage financier ». Mais l’affaire n’en reste pas là. Plusieurs médias britanniques mettent de l’huile sur le feu depuis plusieurs semaines avec des reportages montrant des migrants montant sur de petites embarcations, sous les yeux d’une police française passive.

La France contre-attaque

Ce week-end, ce sont les Français, par la voix du ministre de l’Intérieur, qui sont passés à l’offensive. Depuis la plage de Loon, près de Dunkerque, Gérald Darmanin a appelé « les Anglais à tenir leur promesse de financement puisque nous tenons la frontière pour eux ». La France est « un allié de la Grande-Bretagne, pas son vassal », ajoutait le ministre.

Ce lundi, le gouvernement britannique a déclaré qu’il donnerait à la France « dans les prochaines semaines » l’argent promis pour lutter contre le trafic de migrants depuis les côtes françaises. La passe d’armes semble avoir trouvé un épilogue, mais qui risque bien de n’être que provisoire.

Car un des effets collatéraux du Brexit est d’avoir torpillé les « accords du Touquet ». Ce traité signé en 2003 par les deux pays visait à contrer la montée en puissance de l’immigration clandestine au Royaume-Uni en renforçant les contrôles au départ de la France.

La France ne veut plus jouer au gendarme

Concrètement, il installait la frontière entre la France et la Grande-Bretagne dans le Pas-de-Calais et se traduisait physiquement par la construction d’immenses barrières métalliques, de dispositifs de vidéosurveillance et entraînait la mobilisation de centaines de policiers, gendarmes et douaniers pour interdire aux migrants l’accès aux terminaux des ferries ainsi qu’au tunnel sous la Manche. Ces accords ont « conduit à faire de la France le ‘bras policier’ de la politique migratoire britannique » estimait en juillet 2015 la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH).

En 2018, lors d’un sommet franco-britannique, Emmanuel Macron avait obtenu de l’ex-Première ministre Theresa May une augmentation de la contribution financière britannique à la sécurisation de la frontière sur le sol français. Mais aujourd’hui, après la conclusion d’un « hard Brexit » le 20 janvier 2020, il semble qu’il n’y ait plus de volonté commune franco-britannique pour gérer conjointement cette frontière.

La France demande le divorce

Le week-end dernier, Gerald Darmanin a réclamé la négociation d’un nouveau traité entre le Royaume-Uni et, cette fois-ci, l’Union européenne. De même, le ministre de l’Intérieur a demandé l’intervention de Frontex, l’agence européenne de surveillance des frontières, dans la Manche.

Xavier Bertrand, président de la région des Hauts-de-France, réclame lui depuis 2015 l’abrogation des accords du Touquet. Non pas pour « européaniser » la gestion de la frontière mais plutôt pour la « renationaliser ».

En avril, il déclarait : « Soit les Britanniques reprennent totalement le contrôle de leur frontière avec la France, qui s’installerait alors en Angleterre, soit nous redéfinissons ensemble les conditions de la sécurisation de notre frontière commune avec de nouvelles règles. Nous devons redéfinir les accords du Touquet, et s’il le faut, engager avec nos amis britanniques un vrai bras de fer en la matière ».

Pêche et sous-marins de la discorde

Depuis l’entrée en vigueur du Brexit et l’arrivée au pouvoir à Londres de son « architecte », Boris Johnson, la relation franco-britannique semble avoir touché le fond. Même si les deux nations aiment cordialement se détester, certaines phrases et certains gestes témoignent d’une méfiance et d’une agressivité inédites.

Furieux d’avoir été tenu à l’écart de la conclusion d’une alliance stratégique entre l’Australie, la Grande-Bretagne et les États-Unis (Aukus) qui a conduit à l’annulation d’un contrat record de fourniture de sous-marins, le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian avait qualifié le Royaume-Uni de « cinquième roue du carrosse ».

Quelques jours plus tard, un Boris Johnson revanchard avait lancé un « Prenez un grip » et « Donnez-moi un break ! », (« Ressaisissez-vous » et « fichez moi la paix » en bon franglais) pour tenter d’éteindre la colère française.

Avant cela, c’est le dossier de la pêche qui a déclenché une bagarre de rue entre Français et Britanniques. Le Royaume-Uni étant accusé de ne pas tenir ses engagements sur l’octroi des permis de pêche après sa sortie effective de l’UE le 1er janvier 2021, des bateaux des pêcheurs français avaient manifesté dans le port de Saint-Hélier, à Jersey, le 6 mai dernier.

Londres avait alors répondu en déployant deux navires de guerre et depuis, Paris menace de couper, ou désormais de réduire, l’approvisionnement en électricité des îles anglo-normandes venant du continent.

Exit l’entente cordiale ?

Peter Ricketts, ex-ambassadeur britannique en France entre 2012 et 2016, confiait au Guardian à propos des relations entre les deux pays : « Je n’ai pas souvenir qu’elles aient été aussi mauvaises. Je pense que les Français ont totalement perdu confiance dans le Royaume-Uni en tant qu’allié ».

Dans le même quotidien, l’ex-ambassadrice de France au Royaume-Uni, Sylvie Bermann, jugeait, elle, que les relations franco-britanniques « n’ont jamais été aussi tendues et inamicales. À Paris, on estime que la Grande-Bretagne ne respecte plus les accords qu’elle signe ».

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