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72 heures après le passage des bulldozers du ministère de l’équipement et de l’entretien routier à la cité Akissi Delta, un des nouveaux quartiers de Grand-Bassam, il ne reste sur place que des ferrailleurs errants sur des tas de gravats, des habits, ustensiles de cuisine et quelques paperasses sous les décombres. La démolition des résidences dans cette zone déclarée d’utilité publique par un décret gouvernemental en 2014, décidée par le Gouvernement, rentre dans le projet de « déguerpissement » des maisons et commerces situées à moins de 100 m de la nouvelle autoroute de la première capitale du pays. Notre équipe de reportage y a fait un détour le jeudi 11 février 2021, afin de constater ce qui reste de ces résidences.

Il est 07 heures 50 minutes quand nous arpentons la rue du carrefour Akissi Delta depuis l’ancienne voie menant à Bassam. Sur une distance de près de 4 kms, tout semble parfait. Les belles villas luxueuses dressées fièrement le long de la route laissent transparaître l’aisance des propriétaires. Une belle voiture Ford de type 4×4, à son bord un homme d’une cinquantaine d’année et une jeune femme nous dépasse. Sans signaler son intention, le véhicule rebrousse chemin dans un virage à 180° pour se retrouver sur son chemin de départ. Non sans soulever la poussière devant le regard médusé de jeunes filles assises à l’entrée d’un salon de coiffure sous un immeuble R+ 4 peint en vert fluorescent.

Quelques mètres parcourus, un autre paysage qui contraste avec ce beau décor. Les villas observées laissent la place à un autre décor un peu plus loin et laissent à couper le souffle. Des villas de luxe, ce décor majestueux s’est transformé mardi 09 en piège mortel pour une quarantaine de famille. Faisant partir des fiertés de la cité balnéaire, cette partie de la cité Delta située à 100 m de l’autoroute est aujourd’hui désertée.
Ceux qui ont échappé à la furie des machines ont vu une partie de la clôture de leur maison taillée parfaitement par la lame des bulldozers. Les plus malheureux ont abandonné certains ustensiles de cuisine qu’ils n’ont pu sauver. Au milieu des décombres, autour des maisons éventrées, le silence règne désormais en maître. Seuls les ferrailleurs et des jeunes assurant la sécurité de la zone s’affairent à récupérer les fers et les tôles abandonnés par les propriétaires. Un calme étrange s’est installé, à peine troublé par les glapissements plaintifs des chiens abandonnés à leur sort. Sur la placette centrale, les rires des enfants, qui résonnaient encore se sont évanouis.
Dans une maison de type duplex, en apparence préservée, le temps semble s’être figé. Au rez-de-chaussée, une scène de chaos. De l’autre côté, dans le voisinage, le destin s’est montré moins clément. Il ne reste rien des maisons, dont les ruines ont englouti les jardins. L’une de ces habitations offre un spectacle incongru, sa cuisine encore intacte suspendue dans le vide, surplombant une montagne de gravats.

Située à une bonne distance de l’autoroute, ce qui reste de la résidence du Super Ebony 2009, Jean-Roche Kouamé qui a fait l’objet d’une médiatisation accrue, n’est qu’un tas d’ama de gravats. Des barils en plastique bleues laissent entrevoir la désolation totale. Un jeune nous accoste et nous indique qu’ils sont chargés d’assurer la sécurité de la zone en attendant que les propriétaires ne viennent récupérer ce qui reste de leurs biens.
Les nouveaux gardiens du site de nous révéler qu’après les mises en demeure, les machines du ministère de l’équipement et de l’entretien routier ont envahi la zone manu militari, à l’aube, sans donner le temps aux locataires de protéger. Des immeubles qui ont échappé à la furie des Caterpillar attendent le prochain passage des équipes de démolition. Car le projet de libération est prévu se poursuivre sur le long des deux côtés de l’autoroute jusqu’au rond-point de Moossou à Grand-Bassam.

Tenan Sientinwin

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