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L’Europe n’avait plus connu cela depuis les bombardements de l’Otan sur la Yougoslavie en 1999. L’offensive russe déclenchée dans la nuit de mercredi à jeudi 24 février 2022 contre l’Ukraine choque et inquiète d’autant plus que les objectifs russes ne sont pas clairement identifiés. Le paravent de possibles nettoyages ethniques, comme naguère avec le Kosovo, ne convainc cette fois personne. Dès lors, Vladimir Poutine vise-t-il à affaiblir l’armée ukrainienne pour sanctuariser l’entier des territoires des Oblasts de Lougansk et de Donetsk ou entend-il réellement marcher sur Kiev et renverser le gouvernement, comme le répète inlassablement Joe Biden?

La rationalité plaiderait évidemment pour l’hypothèse d’une intervention limitée, avec pour but de pousser l’évident avantage militaire russe et faire monter les enchères d’une future négociation. A contrario, l’occupation d’un pays de plus en plus hostile apparaît insensée. Mais à mesure qu’avance la crise, l’image d’un Poutine joueur d’échecs, toujours en avance sur son adversaire, se brouille avec celle d’un joueur de poker qui se serait laissé griser et pourrait vouloir miser au-dessus de ses moyens.

Jusqu’où ira donc Vladimir Poutine? Certain·es disent que le maître du Kremlin ira jusqu’où on voudra bien le laisser faire. Ce n’est pas si simple! A l’évidence, si les Occidentaux ont encouragé Kiev sur la voie de l’intransigeance, ils ne lui ont guère donné les moyens d’assumer cette politique jusqu’au bout. Les civils ont commencé à en payer le prix – les fameux «dommages collatéraux»… – bien au-delà du Donbass, où 4000 non-combattant·es ont déjà péri depuis 2014.

Et si pour l’heure, au grand regret de Poutine, les alliés parlent d’une seule voix, leurs moyens d’action demeurent limités. A court terme, les sanctions économiques ne suffiront pas à faire plier une Russie aujourd’hui requinquée par l’envol des prix des matières premières.

Reste à voir si la Chine acceptera de suivre son partenaire. Business-focused, Pékin ne voit sans doute pas d’un bon œil l’instabilité qui s’annonce. Elle-même, faut-il le rappeler, est aux prises avec ses propres séparatismes, même si l’affaire peut aussi réveiller ses ambitions sur Taïwan.

Face à la faillite du droit international, sans doute l’adversaire le plus crédible d’une guerre prolongée pourrait venir à terme de Russie. Malgré l’appareil de propagande du Kremlin et la faiblesse de l’opposition, un bourbier ukrainien pourrait se retourner contre son imprudent instigateur.

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