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L’Afrique apporte sa pierre à la science. En médecine ou en physique, le continent se distingue de plus en plus dans la recherche mondiale et rattrape, lentement mais sûrement, son retard.

Plusieurs centaines d’essais scientifiques ont été lancés dans le monde pour contrer le coronavirus. Sur le lot, quelques dizaines seulement proviennent de laboratoires africains. La pandémie sera-t-elle l’occasion pour l’Afrique des sciences de prendre le train de la mondialisation ? Pas gagné… Même si le paysage scientifique du continent change rapidement, la science mondialisée, elle, file en TGV.

«Mention très honorable»… Marie-Françoise Roy savoure ce moment qu’elle attendait depuis longtemps. Début janvier, à l’université Assane-Seck de Ziguinchor, au Sénégal, Sény Diatta a enfin soutenu la thèse de mathématiques qu’elle dirigeait. Longue aventure que ce doctorat qui a duré des années ! Mais l’enseignante honoraire de Rennes 1, qui œuvre depuis les années 1980 au développement des mathématiques en Afrique francophone, sait que la patience est reine des vertus et que les sciences africaines avancent à leur rythme.

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Pour celle qui a ouvert le premier master de mathématiques du Niger dans les années 1980, les thésards d’aujourd’hui signent l’arrivée d’une nouvelle génération, même si elle reste consciente du chemin qui reste à parcourir par ce continent où l’excellence côtoie le grand vide et où l’urgence reste de pérenniser les structures les mieux installées. Un peu ce qu’est en train de permettre la pandémie de Covid-19 en mettant l’accent sur les secteurs de pointe capables de fournir des réponses adaptées à l’Afrique et de collaborer avec la recherche mondiale sans avoir à rougir.

Seulement 3 % des publications mondiales
Sur un continent qui, soixante ans après les indépendances, attend son premier Nobel scientifique hors Afrique du Sud, la question est de savoir si les laboratoires peuvent tenir leur place. En médecine comme en physique, les deux disciplines les plus à même de fournir demain au continent un scientifique de cette carrure, on doit déjà à l’Afrique de l’Ouest quelques résultats notables. Outre la découverte du VIH-2 par une équipe sénégalaise et la mise au jour de l’impact d’une chimioprévention efficace pour lutter contre la malaria, un physicien burkinabé a permis d’affiner considérablement les prévisions météorologiques en s’intéressant aux variations du signal électromagnétique avant le déclenchement de pluies ou d’ouragans.

Ce sont de vraies avancées, même si elles sont moins populaires que la colle inventée par le Sud-Africain George Pratley, qui a permis à l’équipage d’Apollo 11, en 1969, de recoller les morceaux de la navette et de revenir sur Terre. Plus récemment et de façon plus confidentielle, le Burkinabé Frédéric Ouattara a été récompensé du prix Afrique de l’Union américaine de géophysique, en 2018, et le Sénégalais Mouhamed Moustapha Fall peut s’enorgueillir d’avoir été, la même année, le premier mathématicien subsaharien invité à exposer au Congrès international des mathématiciens de Rio de Janeiro – une instance de référence mondiale. Désormais, en plus, quelques laboratoires se battent pour faire avancer la connaissance du coronavirus.

Mais ces progrès restent isolés sur un continent où, en dépit des vœux pieux de l’Union africaine (UA), aucun pays n’arrive à consacrer 1 % de son PIB à la recherche. En 2017, selon la Banque mondiale, l’Afrique du Sud et le Kenya, tous deux champions, plafonnaient à 0,8 %, le Burkina à 0,67 %, le Ghana à 0,38 % et Madagascar 0,01 %. A titre de comparaison, la France, qui n’est pourtant pas un modèle, était à 2,19 % et l’Amérique du Nord à 2,71 %.

L’Afrique n’a pas du tout suivi la trajectoire de l’Asie, où des pays comme le Vietnam et le Cambodge, partis de très bas il y a trente ans, sont arrivés à un niveau international. C’est la zone géographique qui contribue le moins à la science mondiale, avec seulement 3 % des publications (dont la moitié en Afrique du Sud et au Nigeria). Et si c’est peu pour une terre où vivent 14 % des humains, ce taux ne doit pas masquer les progrès accomplis, puisque le nombre de publications par des auteurs issus d’Afrique a augmenté de 60,1 % entre 2008 et 2014, contre une hausse de 13,8 % en Europe.

Des chercheurs encore trop rares
En fait, le paysage reste très contrasté, « avec des îlots de recherche sophistiqués mais qui n’irriguent pas assez autour, ne forment pas assez de chercheurs », regrette Annick Suzor-Weiner, professeure émérite à l’université Paris-Saclay et vice-présidente de l’Association pour la promotion scientifique de l’Afrique (APSA). En mathématiques, par exemple, les observateurs s’accordent à penser que le Bénin s’illustre, que le Cameroun dispose d’une école de statistique de bon niveau et le Sénégal d’un bon pôle d’enseignement.

Mais tous s’inquiètent, comme Annick Suzor-Weiner, de la fragilité des équipes dans le temps. Des efforts ont beau avoir été faits pour construire les structures de base de laboratoires et financer des plateformes techniques dernier cri, les chercheurs, eux, sont encore trop rares. Si l’Afrique du Sud en compte 818 par million d’habitants, le Kenya, deuxième pays au classement de la Banque mondiale, tombe déjà à 318, puis le Togo à 96 et le Lesotho à 11.

D’autant que ces scientifiques, très courtisés, désertent volontiers les universités, où ils sont sous-payés, pour un maroquin ministériel ou un poste au sein d’un grand organisme international. L’exemple d’Issoufou Katambé, passé de son laboratoire de l’université Abdou-Moumouni de Niamey au poste de ministre de la défense, début 2019, après avoir été ministre de l’hydraulique, illustre cet abandon des laboratoires ; comme celui de Moussa Baldé, qui a préféré devenir ministre de l’agriculture et du développement rural du Sénégal plutôt que de continuer des recherches pourtant prometteuses. Et que dire de Cheick Modibo Diarra, qui fut astrophysicien à la NASA avant de devenir premier ministre du Mali en 2012 ?

Ces changements d’orientation sont aussi une résultante de l’état de l’université, où « les jeunes chercheurs sont absorbés par des tâches d’enseignement très lourdes liées à l’afflux des étudiants », déplore Jean-Paul Moatti, ex-président de l’Institut de recherche pour le développement (IRD). Pour terminer ce tableau qui ne fait pas vraiment rêver, un mandarinat d’un autre temps pèse sur les carrières des jeunes chercheurs, notamment dans les universités francophones, où les aînés pratiquent parfois une cooptation qui tient moins compte des travaux de recherche que des preuves d’allégeance.

Pour soutenir ceux qui persévèrent, l’APSA estime que la création d’une communauté scientifique panafricaine est essentielle. Pour la créer, elle œuvre « en faisant se rencontrer des jeunes chercheurs du continent tous les deux ans en France », rappelle Annick Suzor-Weiner.

Faire émerger des structures d’excellence
Si on s’est longtemps gargarisé de l’idée que les Africains allaient développer dans leur coin une science pour l’Afrique, on mesure aujourd’hui que la science est un grand tout mondial et que sans les résultats du continent, il manque des pièces au Meccano. Jean-Paul Moatti en veut pour preuve le fait qu’on a longtemps minimisé la rapidité et l’ampleur du réchauffement climatique par manque de données fiables en provenance du Sud.

« On conçoit les partenariats avec les pays du Sud comme des aides au développement et c’est une erreur. Nous avons cruellement besoin de leurs résultats pour avancer sur une compréhension globale des phénomènes naturels », insiste M. Moatti, pour qui les Africains apportent aussi beaucoup à la science mondiale en apprenant à leurs confrères à travailler autrement : « Comme ils sont plus contraints que nous, ils imaginent une science plus participative et développent une innovation frugale. Avec eux, on ne part plus de la dynamique des disciplines en s’inventant un agenda, mais des problèmes concrets que la science va aider à résoudre. Cette méthode est en train de faire école bien au-delà de l’Afrique. La Chine s’y est mise et nous y venons nous aussi.»

Pour accélérer ce mouvement, la clé est entre les mains des Etats, qui doivent définir des stratégies d’innovation nationales voire régionales, augmenter leur niveau d’investissement en recherche et développement, parier sur la coopération avec le secteur privé… Si le Rwanda et le Maroc ont lancé le mouvement, ils sont encore peu suivis. Des initiatives se multiplient donc, ces dernières années, pour faire émerger plus de structures d’excellence. La Banque mondiale, par exemple, finance l’enseignement post-universitaire et a aidé à l’ouverture d’une Académie africaine des sciences au Kenya.

Annick Suzor-Weiner pointe au passage la nécessité de permettre aux cerveaux d’aller et venir, en cessant de refuser aux Africains les visas de circulation. A ses yeux, une des conditions pour augmenter l’envie de retour au pays des jeunes formés en Europe ou aux Etats-Unis, c’est justement de les autoriser à se sentir libres d’aller et venir, afin d’avoir conscience de faire pleinement partie d’une communauté mondiale. Ce à quoi aspire le plus jeune continent de la planète, comme le montre l’épisode du Covid-19.

Sommaire de la série «L’Afrique apporte sa pierre à la science»
L’Afrique a besoin des sciences pour se développer… et la science des données africaines pour avancer. Qu’il s’agisse de la recherche d’un vaccin contre le Covid-19 ou de la lutte contre le réchauffement climatique, le continent multiplie les efforts pour s’inscrire dans la marche mondiale de la recherche. En une dizaine d’articles, de portraits et d’enquêtes, les correspondants du Monde Afrique racontent les dernières avancées scientifiques, de Casablanca au Cap.

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