PARTAGER

19 novembre 1968. Ce jour-là, le Mali compte tout juste huit années d’indépendance. Son premier président, Modibo Keïta, un enseignant de formation, y a instauré un régime socialiste où il «prône le rapprochement avec le bloc soviétique, sans pour autant négliger la main tendue des Américains», explique Manon Touron dans son livre Le Mali, 1960-1968. Exporter la Guerre froide dans le pré-carré français.

Moussa Traoré, d’abord président du Comité militaire de libération nationale, puis président de la République à partir du 19 septembre 1969, va s’atteler à tout déconstruire. Le 24 mai 2021, l’histoire reprend ses balbutiements.  Un deuxième coup de force est perpétré par les mêmes militaires.

Derrière ce nouveau coup de force se cachent des jeux de pouvoir et d’influence qui dépassent largement les frontières du Mali.

En effet, si Paris a rapidement dénoncé ce coup de force et même suspendu jusqu’à nouvel ordre les opérations conjointes avec les militaires maliens, il pourrait aussi constituer une opportunité pour enclencher un début de désengagement des troupes françaises.

Ce mouvement ferait les affaires de tout un courant qui prend de l’ampleur au Mali et qui porte le projet d’un remplacement de l’ancienne puissance coloniale par la Russie.

Certains putschistes, qui avaient renversé le président Ibrahim Boubacar Keïta en août 2020, sont en effet proches de Moscou. «Le colonel Sadio Camara était en Russie juste avant le coup d’Etat d’août 2020», analyse Mohamed Amara, sociologue à l’Université des lettres et des sciences de Bamako et à l’Université de Lyon, auteur des «Marchands d’angoisse, le Mali tel qu’il est, tel qu’il pourrait être» (Editions Grandvaux, 2019).

Durant le week-end, plusieurs centaines de Maliens ont manifesté contre la présence militaire française, brandissant des drapeaux russes. Quelques jours plus tôt, le président Emmanuel Macron avait dénoncé un «coup d’Etat dans le coup d’Etat», prônant même des sanctions ciblées contre les colonels maliens.

En fin de semaine dernière, l’Ambassadeur de Russie Igor Gromyko a été reçu en audience par les militaires qui se sont emparés du pouvoir. Il est ainsi le tout premier diplomate étranger en poste à Bamako à avoir été reçu par les putschistes.

En dehors de l’audience accordée à l’ambassadeur russe à Bamako, Moscou a reçu des remerciements lors de la mobilisation vendredi sur la place de l’indépendance.

Ainsi, certains manifestants ont dit préférer une interaction avec la Russie et la Chine, plutôt qu’avec la France.

Stéphane Badobré

PARTAGER