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Contenu du Protocole de la Cedeao. C’est un procès à charge contre la Cedeao. Et pourtant l’organisation sous-régionale s’est donnée suffisamment de gages pour enlever toute envie aux putschistes en embuscade de passer à l’acte. C’est justement pour cela que l’armée fait l’objet d’une section spéciale («section IV») dans le protocole additionnel 2001 de la Cedeao. L’organisation s’est donnée les moyens institutionnels et militaires pour éviter les prises de pouvoir par les hommes en armes dans sa sphère territoriale. Ismaila Madior Fall et Alioune Sall, deux agrégés des facultés de droit et des sciences juridiques et politique de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, nous donnent une lecture simplifiée de ce document. Selon nos spécialistes, cette insistance sur le statut des forces de sécurité se comprend bien parce que ce sont les armées qui renversent les régimes issus des élections. Elles se croient plus légitimes à gérer les affaires de la République. Le dernier putsch en date a été perpétré le 24 janvier 2022 au Burkina Faso. C’est donc tout naturellement que les chefs d’Etat et de gouvernement de la Cedeao lors d’un sommet extraordinaire virtuel le 26 courant ont sanctionné les putschistes en suspendant le Burkina de ses instances. En la matière, la Cedeao exige toujours un chronogramme clair aux militaires au pouvoir pour un retour à l’ordre constitutionnel. Cela vaut pour le Mali et la Guinée où des militaires également ont pris le pouvoir après des coups d’Etat.

Le Protocole dont il est question ici a donc beau jeu d’insister sur la neutralité politique de l’armée, ainsi que sur son caractère «républicain». Il énonce la vocation des forces militaires des Etats, le rôle et les fonctions qui doivent être les siens : la défense de l’indépendance, la participation à des tâches de développement national et, éventuellement, à des missions de maintien de la paix confiées à l’organe militaire de la Cedeao, l’Ecomog, dont le Protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion et de règlement des conflits avait institutionnalisé l’existence. Le Protocole sur la bonne gouvernance va jusqu’à donner des indications sur ce que doit être la conduite à tenir, pour des militaires chargés de «surveiller» des «manifestations» : interdiction de l’usage d’armes pour disperser des manifestations pacifiques, nécessité et proportionnalité de la violence que les forces de l’ordre pourraient éventuellement être amenées à utiliser…

L’ambition du Protocole sur la bonne gouvernance est également remarquable par le fait qu’il ne se limite pas à formuler des principes simplement «politiques», touchant des principes fondateurs de l’Etat. Il cite, au titre des devoirs des Etats, «la lutte contre la pauvreté» et «la promotion du dialogue social». Au titre du premier objectif, les Etats doivent faire tout leur possible pour satisfaire les besoins et services essentiels des populations. Cela passe par la création d’un environnement favorable à l’investissement privé, et par la mise en place de mécanismes de solidarité nationale et de répartition équitable des revenus. Quant à la promotion du dialogue social, il suppose l’existence d’un cadre légal favorable aux syndicats ainsi que des mécanismes institutionnalisés d’échanges entre «partenaires sociaux», avec éventuellement la participation de l’Etat.

Il est donc clair pour de nombreux observateurs que la Cedeao dispose de plusieurs organes prometteurs en matière de prévention des conflits en vue de soutenir son mandat. Il s’agit notamment du Système d’alerte précoce, le Conseil de médiation et de sécurité, le Conseil des sages et des Médiateurs spéciaux. Toutefois, la mise en oeuvre des aspects préventifs du Mécanisme a parfois souffert de l’absence d’une approche stratégique. C’est tout le sens de l’appel lancé par le président ivoirien Alassane Ouattara à ses homologues le 26 janvier dernier lors du sommet extraordinaire virtuel consacré au Burkina Faso.

Les difficultés d’application du Protocole

Les difficultés d’application du Protocole sur la bonne gouvernance tiennent à sa nature juridique, chaque Etat a sa souveraineté, et chacun peut interpréter les textes comme bon lui semble. Un texte juridique s’insère toujours dans un contexte, qui en permet l’application ou l’observation. Comme le soulignent Ismaila Madior Fall et Alioune Sall, le Protocole constitue bien un traité international, même si sa structure et son contenu ne se rencontrent pas habituellement. Cela signifie que son destin, c’est-à-dire les suites qui lui seront réservées, dépendent de ces Etats, libres de les ratifier ou non. Ils ne sont soumis à aucune contrainte. Objectivement, l’on ne peut reprocher à la Cedeao de ne pas pouvoir empêcher les coups d’Etat en Afrique de l’Ouest. Sinon il est écrit noir sur blanc dans les textes de la Cedeao que l’accession ou le maintien anticonstitutionnel au pouvoir sont proscrits. Le Protocole charge la Cedeao d’assister les Etats membres dans les questions électorales. Ce qu’elle fait concrètement en demandant aux putschistes de donner des chronogrammes pour aller à des élections auxquelles ils ne doivent pas être candidats.

Stéphane Badobré

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