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Docteur Akoun Yapi Charles, oncopédiatre à l’unité cancérologie pédiatrique du centre hospitalier universitaire (CHU) de Treichville révèle que le cancer de l’enfant est de plus en plus fréquent. Dans une interview accordée à l’AIP, le spécialiste a relevé que 150 à 200 nouveaux cas sont enregistrés chaque année pars ses services au CHU de Treichville.

Comment se présente le cancer de l’enfant ?

Docteur Akoun Yapi : Le terme du cancer est un terme générique qui regroupe diverses maladies, mais il faut noter que le cancer, c’est une tumeur maligne et cette tumeur est due à une prolifération anormale de cellules issues d’une même cellule qui échappe au contrôle de l’organisme. Dès lors, les enfants ne sont pas épargnés. Ils sont également atteints du cancer. A tous âges de la croissance, l’enfant peut être atteint de cancer. Le cancer n’épargne ni le sexe masculin ni le sexe féminin.

Quels sont les types de cancer les plus fréquemment constatés chez les enfants ?

Docteur Akoun Yapi : Le premier constat qui est fait, nous amène à affirmer que les types de cancers fréquemment diagnostiqués chez l’enfant sont les lymphomes et les leucémies (un cancer du sang et de la moelle osseuse), le cancer de l’œil, le cancer du système lymphatique. Il y a aussi des cancers spécifiques à chaque organe. Au niveau de l’œil, on peut avoir un cancer qui s’appelle le rétinoblastome, fréquent, qui est visible chez les tout-petits enfants.

Est-ce que le cancer de l’enfant évolue de la même manière que celui de l’adulte ?

Docteur Akoun Yapi : C’est au cours de la croissance de l’enfant qu’on peut diagnostiquer le cancer. Pendant que le fœtus est dans le ventre de sa mère, on appelle cela un diagnostic anténatal. L’enfant peut également contracter le cancer à la naissance et pendant sa période de croissance. Généralement, c’est par des symptômes qu’on appelle communément les signes d’appels que cette pathologie se manifeste et attire l’attention. On a aussi des signes qui sont variables. Lesquels sont souvent trompeurs et peuvent se retrouver dans n’importe quelle pathologie. On a aussi des signes qui peuvent être visibles et qu’on appelle des signes directs. Et un de ces signes directs est marqué par une lueur blanchâtre dans l’œil, appelée communément « l’œil de chat ». S’agissant des autres signes, on peut évoquer d’autres de pathologies, notamment des masses ou des boules pouvant se former sur n’importe quelle partie du corps. On peut également constater des ganglions uniques ou multiples dans toutes les aires ganglionnaires. Ce qui attire l’attention, c’est la persistance des signes et l’évolution rapide de ces signes.

Les signes indirects sont très variables chez un enfant malade et lorsqu’il est douloureux, il devient difficile à manipuler. Cela peut cacher un cancer. Par exemple, un enfant qui présente des signes de strabisme (louche soudainement), peut cacher un cancer de l’œil. On peut observer également chez un enfant des signes de fièvre, d’anémie, de grosse fatigue, de pâleur ainsi que de saignement. Ce sont manifestement des signes de cancer. On peut retrouver tous ces signes indirects énumérés dans plusieurs autres formes de maladies. Un enfant peut présenter une douleur au niveau de l’un des membres entrainant une impotence fonctionnelle où il sent une douleur bien localisée. Cela peut être un cancer. Il peut avoir du mal à marcher, cela peut cacher un cancer des os ou un cancer des parties molles. Il y a aussi des familles à cancer.

Quelles sont les causes de cette pathologie ou les facteurs qui favorisent l’apparition du cancer chez un enfant ?

Docteur Akoun Yapi : Les recherches médicales sont toujours en cours pour déterminer les causes du cancer. Mais dans l’ensemble, 5 % des cancers de l’enfant peuvent s’expliquer par la génétique. Par exemple, pour le cancer de l’œil, un parent peut transmettre à sa descendance cette anomalie. On note également des familles à cancer. La tante et la grand-mère ont eu un cancer du sein ou du col de l’utérus. Le père a eu à développer un cancer de la gorge ou de la prostate. Eu égard à ces constats cliniques, le médecin traitant peut se rendre à l’évidence, à partir des données et renseignements généalogiques de cette famille, que l’un des ascendants, a développé cette maladie. Tout ceci peut être expliqué par un anti-oncogène qui peut être muté ou manqué. Dès lors, les parents vont transmettre cette mutation à leur progéniture. Les enfants issus de plusieurs générations seront exposés à un risque de faire le cancer durant leur existence. Sur le plan génétique, 5% des cancers peuvent s’expliquer par la génétique. En outre, on peut évoquer des facteurs environnementaux avérés avec l’intervention des virus et de certaines bactéries. On note que Souvent, le virus de l’hépatite B est associé au cancer du foie. C’est pourquoi, il est conseillé de se faire vacciner pour réduire le risque de faire ce type de cancer.

Le papillomavirus qui se contracte au niveau des parties génitales que ce soit chez l’homme au niveau du pénis et de la femme au niveau de l’utérus ou du vagin.  Le virus du VIH peut aussi entrainer un cancer.

Parmi les produits cancérigènes, on a certains agents physiques et chimiques comme le benzène contenu dans le carburant. L’exposition prolongée au benzène peut constituer un risque de cancer, tout comme les pesticides utilisés pour l’entretien des ménages. Une exposition fréquente, chronique aux radiations ionisantes, aux champs magnétiques ainsi que les hautes tensions peuvent entrainer une désorganisation au niveau de notre organisme et faire courir des risques de cancer.

Combien d’enfants sont atteints de cancer au CHU de Treichville et qu’en est-il au plan national ?

Docteur Akoun Yapi : Du point de vue national, le cancer de l’enfant tourne autour de 1 à 2 % du cancer général. Et dans les estimations, nous atteignons 900 à 1400 cas de cancers pédiatriques chaque année en Côte d’Ivoire.  Mais, en dépit des chiffres élevés, on constate que le taux de fréquentation des malades du cancer pédiatriques de nos services spécialisés est de moins 30%. Ce qui constitue un gros problème.

S’agissant de l’unité oncologique du CHU de Treichville, nous sommes autour 150 à 200 nouveaux cas en 2020 selon les estimations dont nous disposons.  Eu égard à ces statistiques, nous pouvons inférer que le cancer de l’enfant est fréquent et devient un problème de santé publique. De ce fait, les populations doivent être   sensibilisées sur les problèmes du cancer pédiatrique. En cela, chaque 4 février, la journée mondiale du cancer est célébrée et le 15 février est dédiée à la journée mondiale du cancer pédiatrique. C’est une journée qui permet d’éveiller la conscience de tous, de sensibiliser, d’informer et de former aux différents signes d’appel afin de faire des diagnostics précoces pour une bonne prise en charge précoce et pour avoir un taux de guérison élevé.

Quelles sont vos relations avec les parents dont les enfants sont atteints de cancer ?

Docteur Akoun Yapi : Comme tout médecin, nos rapports avec les malades atteints du cancer sont excellents. A l’unité d’oncologie pédiatrique, nous sommes face des pathologies plus spécifiques. le coût onéreux du traitement du cancer.  Généralement, les parents des patients sont démunis pour la plupart et ne disposent pas d’assurance pouvant les aider à couvrir les soins. Que ce soit en ville, au village, et partout ailleurs le cancer n’épargne personne. C’est pourquoi, lorsque qu’un symptôme suspect de cancer est diagnostiqué, il est important de rapprocher le patient de notre structure de spécialité. En Côte d’Ivoire, nous disposons de trois unités spécialisées qui prennent en charge le cancer de l’enfant. On a l’unité de l’Oncologie de Treichville créée en 1995, celle du CHU de Bouaké et l’unité de l’hôpital mère-enfant de Bingerville.

Les enfants sont-ils informés de ce dont ils souffrent ?

Docteur Akoun Yapi : Cela dépend du niveau de compréhension de chaque enfant. Nous passons d’ordinaire par les parents pour communiquer et transmettre les différents messages. Normalement, quand nous finissons de faire le diagnostic, nous leur parlons de la maladie dont ils souffrent et expliquons la prise en charge. S’agissant des plus grands, c’est-à dire, les enfants âgés de plus huit ans, une méthodologie d’approche est optée pour leur expliquer de quoi ils souffrent et comment ils doivent supporter les effets secondaires des médicaments. L’entretien se fait en présence des parents.

Quel est le taux de guérison du cancer pédiatrique, dans votre unité oncologique de Treichville ?

Docteur Akoun Yapi : Nous sommes autour de 35 à 40 % du taux de guérison. En termes clairs, avec ces chiffres, le cancer des enfants est guérissable si et seulement si les patients se font consulter très tôt par nos services. Dans les pays développés, le taux de guérison est de 80 %.  Alors que dans nos pays en voie de développement, le taux de guérison se situe autour de 20 à 30 %.

Quel est le soutien de l’Etat de Côte d’Ivoire aux enfants et aux structures en charge de la lutte contre le cancer ?

Docteur Akoun Yapi : Nous bénéficions du soutien du Programme national de lutte contre le cancer au travers du ministère de la Santé et de l’Hygiène publique, et donc de l’Etat, qui essaie tant bien que mal de nous appuyer.  Ce programme nous appuie également lors de la journée mondiale commémoratives de lutte contre le cancer. Il y a aussi des campagnes de sensibilisation sur la maladie et des formations pour les prestataires notamment des médecins et infirmiers pour la prise en charge efficace des malades du cancer.

Toutefois, en dépit des appuis du gouvernement, nous déplorons le nombre insuffisant des praticiens notamment en aides-soignants et infirmiers.

Quant aux enfants démunis, il faut les aider. Il y a des patients qui viennent se faire consulter et que nous perdons de vue par la suite. Il y a des ONG qui nous viennent en appui, comme le groupe Franco-africain d’oncologie pédiatrique qui nous apporte son appui par la formation des médecins et infirmiers, ainsi que le renforcement des capacités des médecins et des infirmiers. Ce groupe nous soutient également pour les médicaments mais ce qu’il faut savoir, c’est que ce groupe a listé cinq types de cancers et leurs médicaments traitent seulement ces cinq types de cancers. Cela n’est pas suffisant car le nombre de malades est en constante croissance. Les autres patients, qu’est-ce qu’on en fait ?

Quels sont les difficultés auxquelles vous êtes confrontées ?

Docteur Akoun Yapi : On rencontre d’énormes difficultés en termes de moyens financiers et des retards de consultations car la majorité des enfants (plus de 50 %), viennent à l’unité dans un état très avancé de la maladie. Ce qui réduit manifestement les chances de guérison des patients. On note entre autres difficultés, les croyances religieuses, l’impact culturel, l’adhésion au traitement, l’acceptation de la maladie de l’enfant. Un des problèmes rencontrés dans notre unité de soin est le manque de moyens des parents pour assurer une prise en charge de leurs enfants malades. Il faut reconnaître que la prise en charge du cancer pédiatrique est très coûteuse.

Autres écueils, la capacité d’accueil de l’unité d’oncologie pédiatrique est restreinte avec une capacité de 14 lits d’hospitalisation. Elle est donc dans l’impossibilité de recevoir tous les patients pour les traitements et autres suivis.

Les deux salles d’isolement doivent être hautement stériles et filtrées avec des blouses, des surblouses et tout ce qui va avec l’hygiène, l’hygiène alimentaire, l’hygiène corporelle, l’hygiène vestimentaire et le parent qui est à côté de l’enfant doit être vraiment propre. Donc tout le monde ne rentre pas dans la salle d’isolement, il faut avoir des blouses jetables, des objets jetables et tout cela a vraiment un coût.

Nous déplorons l’exigüité de la salle de soins ainsi que la salle de soins de l’hôpital de jour.  La salle d’éveil affectée pour les jeux des enfants est également réduite.

Nous plaidons pour un besoin crucial en médicaments du fait des coûts prohibitifs des soins. Cela peut s’expliquer par le fait que certains patients ne bénéficiant pas de la prise en charge du programme du groupe Franco-africain d’oncologie, sont laissés pour compte. Nous souhaitons que la prise en charge des enfants atteints du cancer soit gratuite et que le service d’oncologie bénéficie des locaux modernes bien adaptés, aux réalités du cancer pédiatrique, selon les standards internationaux.

Source : AIP

 

 

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