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Vingt ans après leur départ, les Taliban reprennent le contrôle d’un pays où la culture du pavot a représenté en 2017 près d’un tiers du PIB national.
 
C’est une autre facette de l’échec américain. Déterminés à éradiquer la culture du pavot, les Etats-Unis laissent derrière eux un Etat afghan plus dépendant que jamais à l’opium, le latex dont on tire l’héroïne.
 
En Afghanistan, les cultures de pavot somnifère ainsi que l’usage de l’opium existent depuis plus de 700 ans et ont longtemps constitué un commerce attractif sous monopole d’État. Dans les années 1920, l’Afghanistan participait aux réunions du «Comité central permanent de l’opium» de la Société des Nations. En 1979, la production de pavot somnifère en Afghanistan est estimée à 200 tonnes.
 
Dix ans plus tard en 1990, elle atteint les 1 570 tonnes puis les 3 400 tonnes en 2002. Le pic de production est atteint en 2007 avec 8 200 tonnes. A lui seul, l’Afghanistan a produit cette année-là plus d’opium illicite que le reste du monde réuni. Dans les années 2000, entre 4 et 5 millions de personnes, des ouvriers agricoles aux commerçants détaillants sont impliqués dans cette économie.
 
Ironie de l’histoire, les Taliban avaient tenté d’éradiquer les champs de pavot en édictant une fatwa en ce sens en juillet 2000. La production avait alors chuté de 90%. Vingt ans plus tard, l’Afghanistan est redevenu un pays totalement gangréné par la drogue. En 2020, le pays comptait 224.000 hectares de pavot, soit une hausse de 37% par rapport à 2019, selon l’Office des Nations unies contre les drogues et le crime (UNODC). Cela représente une production d’opium de 6300 tonnes dont la valeur totale pour les exploitants agricoles équivaut à plus de 300 millions d’euros.
 
Une somme cependant dérisoire, comparée au 1,2 milliard d’euros généré par les producteurs en 2017, grâce à un prix de marché bien plus élevé qu’aujourd’hui et une production plus importante (autour de 9.000 tonnes). A l’époque, la totalité de revenus de cette filière représentait entre 20 et 30% du PIB national (4,1 à 6,6 milliards de dollars). Cette proportion est désormais plus faible, compte tenue de la baisse des prix. Mais le pavot reste toujours une part importante de l’économie du pays.
 
8,6 milliards de dollars pour freiner la production
 
Il faut dire que cette culture lucrative occupe des centaines de milliers de travailleurs, offrant à l’Afghanistan le quasi-monopole de l’opium mondial. Depuis 20 ans, les belligérants (taliban comme armée officielle) ont profité des revenus générés, même si les bouleversements climatiques (sécheresse puis inondations) ont réduit la production ces dernières années.
Selon l’ONU, les taliban sont désormais totalement impliqués dans la chaîne du pavot, de la plantation à l’exploitation mais surtout en extorquant les agriculteurs. Les estimations de leurs gains vont de plus d’une dizaine de millions à plusieurs centaines de millions de dollars par an alors que les Etats-Unis ont dépensé environ 8,6 milliards de dollars entre 2002 et 2017 pour freiner le trafic de drogue en Afghanistan, selon Reuters.
Une fois récoltée, l’opium-pâte présente également de très bonnes qualités de conservation. Il est non périssable et peut être maintenu en grenier sur des temps longs sans en endommager la qualité.
 
Ce qui explique que les frappes contre les laboratoires ou les champs n’ont pas freiné leur culture mais attisé un peu plus la colère contre les étrangers et le gouvernement. D’autant que les autorités locales participent aussi à la « taxation » des agriculteurs sur une production qu’elles sont censées combattre.
 
Par ailleurs, le pays a commencé à se diversifier dans le cannabis (deuxième producteur mondial en 2017) et dans les méthamphétamines, provoquant d’ailleurs de nouveaux dégâts sanitaires liées à la toxicomanie au sein de la population.
 
Revenus au pouvoir, les talibans vont-ils mettre un terme à la production de produits stupéfiants? Avec l’interdiction de juillet 2000, ils espéraient sortir de leur isolement diplomatique mais ils s’étaient mis à dos une partie de la population. Les nouveaux maîtres du pays, qui tirent aussi leurs revenus des taxes aux frontières, pourraient bien continuer à profiter de cette manne très addictive.
 
Au-delà d’être une activité interdite, la culture de l’opium en Afghanistan est avant tout pour la population une stratégie de survie qui compense des déficits vivriers.
 
Stéphane Badobré
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