Lettre ouverte à Maître Robert Bourgi
Cher Maître,
Vous êtes un homme brillant, un homme chanceux, un homme de réseaux. À travers vos relations et vos amitiés, vous avez fréquenté les plus hautes sphères du pouvoir, côtoyé des Chefs d’État, accompli des missions de bons offices, mais aussi transporté des valises et mallettes bourrées d’argent, les fameux djembés, qui ont nourri les campagnes électorales en Europe, particulièrement en France. Vous avez vu, entendu et su tant de choses qu’il vous arrive, à intervalles réguliers, de lever le voile sur les faces cachées des palais présidentiels. Mais vos révélations, parce qu’elles surgissent toujours au moment où les passions sont les plus vives, semblent relever davantage du règlement de comptes que de la quête de vérité.
Permettez-moi de vous dire, en ma qualité de journaliste et d’analyste politique, que vos prises de parole médiatiques, tonitruantes et sélectives, laissent une impression désolante : celle d’un homme qui ne cherche plus à bâtir des ponts entre l’Afrique et l’Europe, mais à dresser des murs de suspicion, d’animosité et de discorde. Votre récente sortie sur la Côte d’Ivoire et le Président Alassane Ouattara sur une chaîne de télévision, en est une illustration éclatante, mais aussi profondément regrettable.
La Côte d’Ivoire, vous le savez, revient de loin. En 2010, une élection disputée a coûté la vie à plus de 3 000 personnes. Depuis, malgré les insuffisances de ses institutions et de sa démocratie, ce pays a su préserver quinze années de paix et de stabilité. Quinze années d’efforts, de cicatrices refermées à la sueur du peuple, valent infiniment plus que vos confidences jetées en pâture à l’opinion, comme des étincelles projetées sur une poudrière.
Il est pour le moins consternant qu’en 2025, après quinze années d’exercice du pouvoir suprême, certains acteurs continuent de ressasser la question de la nationalité du Chef de l’État ivoirien. Ce débat, que l’on croyait clos depuis longtemps, ressurgit à intervalles réguliers, tel un spectre agité par ceux qui, faute d’idées et de vision, s’accrochent désespérément à des arguments identitaires pour exister sur la scène publique. Que des hommes politiques ou des activistes de chapelles partisanes s’y livrent, cela peut encore se comprendre. Mais qu’un homme de votre trempe ressuscite, avec une légèreté troublante, cette thèse usée de la prétendue nationalité voltaïque ou burkinabè du locataire du palais de Cocody, est gravissime.
Que l’on partage ou non les choix politiques du Président Ouattara, que l’on critique sa gouvernance ou ses orientations économiques, cela est légitime et relève du jeu démocratique. Mais remettre en cause, en 2025, sa légitimité au nom d’une supposée nationalité étrangère est non seulement intellectuellement malhonnête, mais profondément dangereux.
Ce procédé, en réalité, révèle une volonté manifeste d’entretenir les clivages les plus primaires au sein de la société ivoirienne. Depuis quinze ans, Alassane Ouattara est le Président de la République de Côte d’Ivoire. Élu à plusieurs reprises, il a prêté serment devant la nation, dirigé les institutions, représenté la Côte d’Ivoire sur la scène internationale et conduit des réformes d’envergure. Dès lors, toute tentative de relancer le débat sur ses origines ne vise qu’un objectif : délégitimer son parcours, instiller le doute, diviser, fracturer.
S’adonner à ce jeu dangereux, c’est feindre d’ignorer les conséquences tragiques que ce type de discours a déjà engendrées dans l’histoire récente de la Côte d’Ivoire. Vous attisez, en vérité, les braises du ressentiment plutôt que de vous élever au niveau du débat d’idées. Or, ce dont la Côte d’Ivoire a besoin, ce ne sont pas de pamphlets identitaires, mais de projets audacieux, d’ambitions collectives, de visions fédératrices.
Soyons clairs, Monsieur Bourgi : ce débat sur la nationalité du Président Ouattara n’est pas seulement un combat d’arrière-garde. C’est une arme rouillée qui a déjà causé trop de douleurs et trop de morts en Côte d’Ivoire. Le ressortir aujourd’hui, c’est non seulement manquer de sérieux, mais aussi faire preuve d’une irresponsabilité historique. Qu’on le veuille ou non, l’Histoire a tranché. Il appartient désormais aux générations nouvelles de rompre définitivement avec ces réflexes d’un autre âge et d’inscrire la nation ivoirienne dans un avenir apaisé, uni et résolument tourné vers le progrès.
Si vous ne pouvez rien entreprendre pour consolider la paix dans ce pays meurtri, alors, par simple décence, abstenez-vous d’y jeter de l’huile sur le feu. Car un mot mal placé, une insinuation sans fondement, une vérité tronquée suffisent à rouvrir des plaies que des millions d’Ivoiriens s’efforcent chaque jour de cicatriser.
Vos attaques, au fond, paraissent moins dictées par la recherche de la vérité que par un ressentiment personnel. L’observateur attentif ne peut s’empêcher de remarquer que vos flèches visent toujours les lieux et les hommes auprès desquels, hier, vous jouissiez de privilèges, de facilités et d’avantages.
Cher Maître, l’Histoire ne retient pas les pyromanes. Elle se souvient uniquement des bâtisseurs. Vous avez encore le choix d’être de ceux-là.
Avec la considération que mérite votre parcours, mais avec la fermeté que m’impose ma conscience, je vous exhorte à mesurer vos mots, à cesser vos emballements destructeurs et à laisser les peuples africains écrire eux-mêmes leur avenir, sans vos brûlantes imprécations.
Respectueusement.
Adama Ouédraogo Damiss
Journaliste