Fils du défunt opposant Étienne Tshisekedi, celui que la Commission électorale congolaise a donné vainqueur de la présidentielle s’est forgé à l’ombre de son père. Portrait d’un héritier politique dont l’élection, déjà contestée, doit être validée.
« Je n’ai absolument pas l’intention ni l’ambition de me mesurer à ce qu’il a été, mais mon rêve c’est de continuer son œuvre ». Alors qu’il n’était encore que candidat à la présidence de la République démocratique du Congo (RD Congo), Félix Tshisekedi savait déjà tout ce qu’il devait à son défunt père, Étienne : un nom aussi prestigieux que lourd à porter pour quiconque veut incarner l’opposition congolaise.
Si la Cour constitutionnelle venait à confirmer d’ici le 15 janvier les résultats annoncés, dans la nuit du mercredi 9 au jeudi 10 janvier, par la Commission électorale congolaise (Céni), Tshisekedi fils aura finalement réussi ce que Tshisekedi père ne sera parvenu à accomplir : accéder au pouvoir dans le cadre de la première alternance démocratique de l’histoire du pays. Plus pompeusement : être le premier homme politique congolais à passer de l’opposition à la présidence avec la légitimité des urnes.
Héritage à double tranchant
Pour en arriver là, « Fatshi », comme l’appellent ses partisans, aurait difficilement pu se passer de la machine de guerre électorale que constitue l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS). Fondé par son père pendant le règne du maréchal Mobutu Sese Seko dans les années 1980, le parti reste profondément associé à la figure d’éternel « opposant historique » qu’était Étienne Tshisekedi, décédé le 1er février 2017 à Bruxelles. Un héritage à double tranchant…
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Ainsi, lors des manifestations anti-Kabila qui ont fait plusieurs morts en 2017, l’absence de Félix Tshisekedi dans les cortèges ne passe pas inaperçue. Le « fils de » a-t-il vraiment la stature du chef ?, s’interrogent les contestataires. L’intéressé prétend alors ne pas vouloir s’accaparer le mouvement. « Aujourd’hui, Étienne Tshisekedi n’est plus là. Mais il nous a formés et nous sommes des millions d’Étienne Tshisekedi à suivre ce combat de la même manière qu’il le faisait, confiait-il en avril 2018 au micro de Radio France internationale (RFI). Donc je ne pense pas qu’il y ait de personnes indispensables, de personnes providentielles. Je crois que dans un combat, c’est tout un peuple qui s’engage. »
Marié, père de cinq enfants, Félix n’est, de fait, pas le portrait politique craché du « Sphynx de Limete », surnom de son père. « Étienne était têtu et fier. Félix est plus diplomate, plus conciliant, plus à l’écoute des autres », témoigne à l’AFP un bon connaisseur de l’opposition congolaise.
Exil, coup de poing et « faux diplôme »
Né en juin 1963, Félix-Antoine Tshisekedi est le troisième d’une famille de cinq enfants. À l’âge de 19 ans, il suit son père relégué par Mobutu dans son village du Kasaï. Un épisode marquant pour le jeune homme. À 22 ans, « Fatshi », sa mère et ses frères prennent le chemin de l’exil en Belgique. À Bruxelles, le jeune homme fait le coup de poing contre des proches de Mobutu ou même des policiers belges, un soir de février à l’aéroport, quand son père est empêché de rentrer à Kinshasa.
Dans l’ombre de la figure paternelle, Félix gravit tous les échelons de l’UDPS. Luba du Kasaï, il est élu député national à Mbuji-Mayi en 2011. Il refuse de siéger à l’Assemblée nationale pour respecter le mot d’ordre de son père contre la réélection contestée de Joseph Kabila. C’est le premier acte de loyauté envers le parti de son père. Depuis, Félix Tshisekedi mettra régulièrement en avant la volonté de la base militante de l’UPDS pour justifier ses décisions.
Fin 2016, juste avant la mort de son père, il est encore aux avant-postes des négociations majorité-opposition sous l’égide de l’Église catholique, qui allait déboucher sur l’accord de la Saint-Sylvestre reportant les élections. Tshisekedi fils aurait alors refusé un poste de Premier ministre, tandis que le président Joseph Kabila se maintenait au pouvoir au-delà de la fin de son deuxième et dernier mandat.
Mais à mesure que la présidentielle de 2018 approche, Félix Tshisekedi fait de plus en plus l’objet de critiques. Lorsqu’en novembre dernier, il rompt, avec Vital Kamerhe, l’accord signé avec cinq autres partis pour soutenir la candidature unique de Martin Fayulu, on l’accuse de saper l’unité de l’opposition. Là encore, « Fatshi » affirme qu’il n’a fait qu’écouter la « base », qui ne voulait pas de l’accord.
Après le vote du 20 décembre, alors que le pays est suspendu à l’annonce des résultats, certains de ses détracteurs mettent en doute la validité de son diplôme de marketing et communication obtenu en Belgique. D’autres lui reprochent de n’avoir jamais exercé une fonction de responsabilité ou de gestion.
Contestations et main tendue
Aujourd’hui, Martin Fayulu, le candidat soutenu par les principaux rivaux de Kabila, accuse le clan Tshisekedi de « putsch électoral ». « Les résultats n’ont rien à voir avec la vérité des urnes », a-t-il affirmé à RFI avant d’appeler les observateurs du scrutin à en publier les « vrais » résultats.
À Paris, le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, s’appuyant sur les observations de la Conférence épiscopale – qui avait déployé 40 000 scrutateurs le jour du scrutin –, a estimé que les résultats annoncés par la Céni ne semblaient « pas conformes aux résultats que l’on a pu constater ici ou là ».
De son côté, Félix Tshisekedi s’attelle à donner l’image d’un responsable politique mesuré. Mercredi soir, à peine la Céni le proclamait vainqueur qu’il rendait hommage au président sortant, Joseph Kabila : « Aujourd’hui, nous ne devons plus le considérer comme un adversaire mais plutôt comme un partenaire de l’alternance démocratique dans notre pays ». Reste à savoir si cette main tendue ravira la « base ».