Le Prof. Moitié pointe le rôle de la formation supérieure dans la transformation sociétale
«UNIVERSITÉ ET DÉVELOPPEMENT NATIONAL : LE RÔLE DE LA FORMATION SUPÉRIEURE DANS L’INSERTION PROFESSIONNELLE ET LA TRANSFORMATION SOCIÉTALE»
I. LE RÔLE DE LA FORMATION SUPÉRIEURE DANS L’INSERTION PROFESSIONNELLE
Cette préoccupation peut être reformulée de la manière suivante : Université et employabilité.
En effet, cette problématique est devenue la préoccupation presque hystérique des responsables en charge de la gestion des universités dans le monde francophone et cela depuis le vote et la promulgation en août 2007 en France de la loi « relative aux Libertés et Responsabilités des Universités », appelée également loi sur l’« autonomie » des universités.
Cette loi qui procède de la gestion comptable de l’Etat et du temps, entend comme objectif principal, mercantiliser et assujettir la vocation et la mission de recherche et de l’université aux agrégats du libéralisme économique et de la financiarisation de la moindre activité humaine en harmonie avec la logique de « retour sur investissements ».
Cela a induit dans les pays francophones comme le nôtre des approches de gestions purement financières et managériale de l’enseignement et de la recherche universitaires au service disent-ils de « l’employabilité » et cela au mépris de ce qu’est l’université et ses missions au sein de la société.
Certains responsables en charge de la gouvernance de nos universités sont allés jusqu’à suggérer à demi-mots que certaines disciplines enseignées n’étaient pas ou plus rentables pour le marché du travail et devraient pour ainsi être purement et simplement exclues des curricula.
Pour ces gens et toujours au mépris de ce qu’est l’université, la production et la transmission des connaissances doivent être subordonnées aux impératifs de maximisation de performance et de bénéfices financiers.
Il ne s’agit ni plus ni moins que de vouloir confiner l’université à la production de diplômés destinés uniquement au marché du travail, plutôt que d’intellectuels commis à concevoir à penser et à guider nos pays et l’Afrique dans un monde où ils ont toute leur place à prendre.
Comme on le voit, il y va du prêt-à-penser comme du prêt-à-porter. Et l’expression « France aurevoir » ne concerne pas que l’importation de voitures usagées, mais aussi d’idées usagées depuis la France vers ses colonies ou anciennes colonies.
Devant la prise de certaines décisions qui méprisent nos propres réalités en allant à contre-courant de la logique, on est autorisé à penser involontairement que tout cela relève de stratégies bien élaborées pour priver les nouvelles générations d’africains de l’esprit critique nécessaire pour fonder une Histoire du continent avec laquelle il s’affirmera sur la scène internationale.
L’Afrique ne produit actuellement que 1% de la science utilisée dans le monde et n’en utilise que 3%.
Nos pays ne sont donc pas au même niveau de production et d’utilisation des savoirs que des pays comme la France pour se permettre de faire du copier-coller des décisions de cette dernière dans les missions de l’université.
Des pays comme la République Islamique d’Iran ont bien compris l’importance de l’Université dans la formation des élites intellectuelles et des chercheurs qui concourent au développement et à la transformation de la nation.
Ce pays compte selon les statistiques internationales et la définition standard 440 universités ce qui le classe au 11ᵉ rang mondial qui accueillent plus de 4.800.000 étudiants parmi lesquels sortent chaque année entre 15 et 20.000 docteurs.
En outre, le système de l’enseignement supérieur iranien forme chaque année environ 233 700 ingénieurs, ce qui le place au 3e rang mondial dans ce domaine.
C’est donc en formant en masse des cerveaux dans ses universités que l’Iran qui ne fabriquait même pas une aiguille au moment du renversement du Shah en 1979 est devenu en moins d’un demi siècle et cela malgré les sanctions économiques, financières et diplomatiques sans trêve l’une des 10 puissances technologiques du monde.
Ici même en Afrique, l’objectif du gouvernement sud-africain, tel que défini dans le « National Development Plan », est d’atteindre 1,6 million d’étudiants inscrits dans les 26 universités du pays d’ici 2030 et surtout de produire chaque année en termes d’orientation stratégique 6000 docteurs.
En comparaison, dans la majorité des pays francophones d’Afrique, la tendance est de stopper dans les universités publiques le flux d’étudiants qui accèdent au doctorat faisant du coup du Master le plus haut diplôme universitaire auquel la majorité des étudiants de ce microcosme peuvent désormais prétendre comme dans les Grandes Ecoles.
Cela alors même comme nous l’avons dit plus haut, l’Université n’a pas la même fonction qu’une Grande Ecole et cela doit être clairement perçu par tous.
Comme le dit le Professeur Plinio PRADO, l’Université est : « Le lieu de la présentation encyclopédique, systématique et unitaire de l’ensemble des savoirs et de leur fondement. Mais aussi le lieu de leur synthèse avec l’idéal pratique gouvernant son action éthique, sociale et politique dans le monde. Lieu, en somme, de l’unité des intérêts scientifique et pratique, voire émancipatoire de la raison, où à la fois s’en gendre la connaissance vraie et s’élaborent les justes fins. »
Dès lors, malgré et en dépit de cette volonté de financiariser tout et n’importe quoi, l’Université doit pouvoir rester fidèle et focaliser sur la mise en œuvre de sa double mission qui est d’une part, poursuivre la recherche de la Science pour elle-même, sans aucune contrainte ni finalité déterminée, et d’autre part, mettre à la disposition de la communauté les savoirs qu’elle produit pour sa construction, sa consolidation et son progrès en tant que témoignage de l’évolution de l’intelligence humaine.
Si ces précautions sont prises et respectées, alors l’université peut et contribue d’ailleurs depuis toujours à produire les savoirs et ceux qui les dispensent aux autres notamment dans les écoles et Grandes Ecoles.
En effet, si les cursus universitaires se caractérisent par leur approche théorique, avec moins de stages pratiques ou de contacts avec le monde professionnel que dans les Grandes Ecoles, il n’en demeure pas moins qu’ils conduisent à des marchés du travail spécifiques.
Ainsi, si la majorité des études universitaires conduisent vers le métier d’enseignant, certaines filières comme le Droit, les Sciences Economiques et de Gestion, les mathématiques appliquées, orientent plus fréquemment les diplômés vers des emplois d’ingénieurs, de cadres techniques administratifs, commerciaux, financiers.
Nous avons aussi que les médecins, pharmaciens, dentistes, psychologues, criminologues, légistes astronautes et généticiens sont exclusivement formés par l’Université, tout comme les chercheurs dans tous les domaines.
En outre, l’université prépare à de nombreux autres emplois comme ceux d’avocats, de magistrats, de notaire etc.
Toutefois, l’université n’est pas restée statique face à l’évolution du marché du travail et de l’apparition de nouveaux métiers et de nouvelles compétences.
En effet, depuis ces dernières décennies, on assiste à des transformations à l’intérieur de l’Université qui ont amené les filières de formations à s’adapter relativement bien aux emplois auxquels elles destinent les étudiants.
Cette « professionnalisation » de l’enseignement universitaire, est très visible et dynamique à travers des filières comme la communication, les sciences de l’environnement et du climat, la nanotechnologie, l’informatique, la robotique, les technologies de pointe et tout dernièrement en intelligence artificielle.
En fidélité à sa vocation d’incubatrice des idées, l’Université n’est donc pas restée sourde, aveugle et en marge de l’évolution du marché du travail dont l’évolution est d’ailleurs et justement le fruit de sa réflexion et des recherches qu’elle mène pour fonder le développement et le progrès des sociétés et de l’Homme en général.
Enfin, l’expertise que l’Université donne aux étudiants est une fenêtre de tir que beaucoup utilisent ou peuvent utiliser pour créer leurs propres activités génératrices d’emplois donc de revenus et de bien-être personnel.
Il existe donc une relation stable et cultivée à travers le temps entre des filières de formations universitaires et des catégories d’emplois anciens ou nouveaux.
Dans la catégorisation des emplois en trois niveaux à savoir, cadres supérieurs, cadres moyens ou techniciens et employés, il est évident que l’on n’accède au premier qu’avec au minimum un diplôme universitaire en poche et ceux qui en sont détenteurs sont généralement préservés des emplois précaires ou par défaut.
Dans l’absolu, les diplômes universitaires constituent en eux-mêmes une protection contre le chômage et un atout décisif pour devenir cadre de l’administration ou du privé.
Dans le cas spécifique de notre pays, l’incertitude de l’insertion professionnelle des diplômés des universités concerne actuellement que les détenteurs du doctorat qui souhaitent entreprendre une carrière d’enseignant à l’université, aucune généralisation n’est donc pertinente.
Au total, il faut dire que l’université est bel et bien à l’avant-garde de la création des métiers, des savoirs et des emplois comme peuvent l’attester la création en son sein des Masters professionnels.
Il est donc évident qu’elle ne se limite plus à la production et la diffusion de la connaissance et des savoirs, mais élargit ses prérogatives de plein droit d’ailleurs à la formation professionnelle, y compris pour les formations initiales.
Des lors, ce paradigme « d’employabilité » que certains évoquent pour tracasser les universitaires et essayer de distraire l’Université de sa mission en suggérant la disqualification de certaines de ses filières n’est qu’une précaution inutile, car ces emplois dont il est question sont tous des commandes de l’Université et les fruits issus de la réflexion des universitaires et de la mise en pratique de leurs découvertes.
Prof. Moritié Camara