INTERPELLATIONS ET ARRESTATIONS PROBABLES
DE MARCHEURS IMPOLIS.
Ma lettre ouverte à M. Le Procureur de la République
Par Tiburce Koffi.
M. Le Procureur, de l’étranger où je suis, en ce moment, j’ai vu, par le biais des médias, la grande marche de l’opposition ivoirienne. Pour gigantesque, elle le fut assurément, même si, grâce à des effets numériques, des vidéos ont démultiplié à l’exagération le nombre de marchants. Retenons l’essentiel : il y a eu du monde. Une immense foule de mécontents. Et me reviennent ces vers de Corneille (Le Cid) relatant le combat contre les Maures : « Nous partîmes trois cents. Mais par un prompt renfort/ Nous nous vîmes trois milles en arrivant au port/ tant à nous voir marcher avec un tel courage/ Les plus épouvantés reprenaient de rage ». Cela est ainsi car la foule a toujours su faire foule, en amassant foules. Trois enseignements me paraissent dignes d’être retenus de cet événement :
1 ― le mécontentement enfle, comme l’onde, dessous les embarcations des insurgés venant de la mer (Le Cid).
2 ― Le pouvoir régnant a fait preuve de sérénité ; conséquemment, il a gagné en (nécessaire) bonification de son image. Car, que l’on souvienne : la même marche de protestation, faite par le Rdr d’Alassane Ouattara, fut sévèrement réprimée par les Forces de l’ordre, sous le règne Pdci du Président Henri Konan Bédié. L’élite du Rdr se retrouva sous les barreaux, à la Maca. Malgré les nombreux appels (nationaux et internationaux) à la tolérance, lancés à l’endroit du Président Bédié et de son parti, ces illustres personnalités politiques du pays croupirent dans les geôles infectes de cette prison. Le 24 décembre 1999, un coup d’État leur permit de recouvrer la liberté. Ayons de la mémoire.
1999 – 2025. Vingt-six après, dans les mêmes conditions de contestation des dispositions légales en vue du scrutin présidentiel, le même Pdci, associé à un autre parti issu des dépouilles du Fpi, fait la même marche ; mais d’ampleur plus grande. On aurait pu s’attendre à une vaste répression, suivie d’arrestations et d’incarcérations. Que nenni. Cette marche s’est déroulée sans incident. Nous venons donc d’échapper aux augures mauvais des Cassandres oisifs.
3 ― À opposition civilisée, forces républicaines civilisées.
Au bout du compte, c’est la Côte d’Ivoire qui a gagné : l’opposition a voulu marcher, elle a marché. Et le pouvoir a laissé faire. Comme cela se fait en démocratie. Disons alors, comme Pangloss : « Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes ».
Mais voilà que je vois et entends sur les réseaux, une vidéo animée par le Procureur de la République (?). Les propos, chargés de menaces, qu’il y tient, me paraissent excessifs. On peut les résumer : des caméras cachées ont enregistré des paroles qui, selon lui, tombent sous le coup de la loi ; notamment les mots « Mossi » et « étrangers ».
Je m’offre la liberté de réagir à cette réaction du Procureur.
Je vous en supplie, Monsieur le Procureur : renoncer à ce projet. Oui, renoncez-y, car vous ne feriez que générer des conflits sociaux dont notre pays n’a pas besoin en ce moment. Préoccupons-nous de tirer les conséquences du déroulement de cette marche : il n’y a eu aucune entrave à la liberté citoyenne de manifester par une marche… pacifique (il faut le souligner). Sous d’autres régimes, notamment le Pdci et le Fpi, c’est à des violences des forces de l’ordre, réprimant cette marche, que nous aurions assisté. Les références existent ( 1) C’est donc tout à l’honneur du pouvoir Rhdp d’avoir enregistré sous sa régence, une telle marche, sans grabuge. C’est aussi un mérite de l’opposition d’avoir réussi à faire une marche pacifique d’une telle ampleur. Tout le monde y a donc gagné. Pourquoi alors gâcher la fête, Monsieur le Procureur ? Que signifient ces menaces que vous proférez à l’encontre de jactances que vous jugez illicites ? Lesquels propos, d’ailleurs ?
[RESPECTER LES MOSSÉ]
Des marcheurs auraient « traité des gens, de Mossi et d’étranger ! » Voilà le délit de jactance que brandit M. le Procureur. La réaction me paraît grave. Dites-moi, M le Procureur, pourquoi voyez-vous en ces mots (Mossi, étranger), une offense ? Être Mossi ou étranger, est-il une marque d’indignité ? Vous me l’apprenez. Si vous ne le savez pas, le peuple mossi est l’artisan historique d’un grand empire au rayonnement admis par les historiens. Son représentant, le « Moro naba » est une haute figure sociale et politique, en Afrique.
Que des circonstances historiques objectives (car analysables) aient amené des gens de notre pays à déconsidérer certaines personnes de ce grand peuple (les Mossé), cela peut se concevoir. Mais qu’un Procureur de la République en fasse une affaire d’État, me parait discutable. Pour moi, dire d’un Mossi qu’il est Mossi, revient à dire d’un Wolof qu’il est un Wolof ; ou dire d’un Baoulé (j’en suis un), qu’il est Baoulé ; et d’un Bamiléké, qu’il est Bamiléké ? Un Êbrié, un Abouré, un Berbère, un Peulh, un Minan, un Ashanti, etc., se sent-il offensé qu’on dise de lui qu’il est Êbrié, Abouré, Berbère, Peulh, Minan, Ashanti ? Dans l’absolu, en quoi réside le délit juridique, de dire d’un Mossi, qu’il est Mossi ?
Rappel historique : les Blancs Américains et les Blancs d’une manière générale, avaient négativement connoté la couleur de notre peau de Noirs africains. L’histoire nous a appris comment nous avons réagi. Ni colère, ni complexes. Nous avons revendiqué notre NÊGRITUDE par l’intelligence de deux poètes : Aimé Césaire, L. S. Senghor. Peu de temps après, un chanteur Noir américain, hurlait, euphorique, à l’«Appolo Theater », à New-York : « Said It Loud , I’m black and proud ! » (Dis-le plus fort, je suis Noir et j’en suis fier ! » Il se nomme James Brown. Quel Procureur aux Usa, perdrait son temps à interpeller aujourd’hui, un individu qui dirait à un Noir « Tu es un Noir » ? Je compte de nombreux Mossé comme amis. Des gens brillants. Et jamais il ne m’est arrivé de constater qu’ils éprouvaient des complexes à être mossi.
Comment en arrivez-vous, vous un éminent homme de droit, à penser que le mot « Mossi » est une offense ? Vous seriez bien imprudent de l’affirmer, et plus, de le démontrer. Car le faisant, vous offenseriez assurément le peuple mossi qui, j’en suis persuadé, ne se sent nullement offensé qu’on dise de lui qu’il est mossi. Oui, il est Mossi. Et ce n’est pas une injure, ni une marque identitaire indigne, avilissante et humiliante.
M. le Procureur, comme tout bon baoulé, l’auteur de ces lignes compte dans sa famille, des enfants issus de mariages avec des Mossé. Jamais nous ne les avons perçus comme des personnes d’importance négligeable. Parallélisme des formes, seriez-vous prêts à interpeller des gens du nord qui useraient du mot ‘’boussoumani’’ (une déformation phonique de bushmen – gens de la brousse, ou broussards), pour nous désigner, nous autres des régions forestières du pays ? Ecoutez-moi donc : ignorez tous ces comportements langagiers, qui font partie de la jactance des masses. Léopold. S. Senghor disait du racisme qu’il est le fait de l’ignorance et de la sottise. Il va de même du nationalisme chauvin, du tribalisme et de la xénophobie : c’est le fait des attardés cérébraux. On les appelle des imbéciles. Et l’imbécilité n’est pas un délit ; c’est, tristement, une tare cérébrale et mentale. Une insuffisance d’intelligence.
Sans doute que le droit vous autorise à agir ainsi, M. le Procureur. Mais sachez que l’usage outrancier du droit le transforme en instrument de la terreur. Et la répression systémique décuple le mécontentement populaire qui, lui, engendre des révoltes de grande ampleur. Bref, je vous conseille de vous en tenir à des avertissements… menaçants. Mais n’allez pas au-delà.
Ils voulaient marcher ? Nous les avons laissé marcher ― ce qu’ils nous auraient interdit, eux. Il paraît qu’ils veulent même marcher encore. Laissons-les marcher, crier, tenir des propos outrageants et imbéciles. Après tout cela, nous marcherons, marcherons et marcherons, nous aussi. Le soleil marchera, les étoiles, de même. Les chiens marcheront, les chats, de même. Les médecins marcheront ; et, sans soins, les malades mourront dans les hôpitaux. Les transporteurs marcheront. Et plus personne ne pourra voyager. Marche. Le pays, tout le pays passera son temps à marcher. Bon… il paraît que c’est bon pour la Santé. Rions-en donc, M. le Procureur. Rire : c’est cela qui manque le plus à notre pays.
Prochainement : « Une nouvelle opposance, pour une meilleure gouvernance ».
Tiburce Koffi
Enseignant à la retraite.
Écrivain, musicien, militant Rhdp. Alassaniste.
gnametkoffi@gmail.com