Victimes de l’une des plus grosses erreurs judiciaires de l’histoire des Afro-Américains, deux hommes innocentés en 2021 après 20 ans de prison chacun pour l’assassinat en 1965 de Malcolm X vont toucher au total 36 millions de dollars de la ville et de l’Etat de New York.
L’avocat David Shanies, défenseur de Muhammad Aziz, 84 ans, et de la famille de Khalil Islam, décédé en 2009, a confirmé dimanche soir dans un courriel à l’AFP qu’une « injustice (avait été) aujourd’hui reconnue et une étape modeste franchie pour la corriger ».
Interrogée par le New York Times, la direction juridique de la mairie de New York avait révélé plus tôt un accord de dédommagement financier avec « MM. Aziz et Islam injustement condamnés pour ce crime » : le meurtre de Malcolm X le 21 février 1965 à la tribune de l’Audubon Ballroom, une salle de spectacle de Harlem, un quartier du nord de Manhattan.
Les deux hommes, membres du mouvement de Malcolm X « Nation of Islam », avaient été condamnés en 1966 à de lourdes peines d’emprisonnement et avaient passé 42 ans à eux deux derrière les barreaux – une vingtaine d’années chacun – pour un meurtre qu’ils n’avaient jamais commis.
Mais le 19 novembre dernier, dans un coup de théâtre judiciaire historique, la Cour suprême de l’Etat de New York les avait innocentés. La justice avait même reconnu son « échec » en ayant emprisonné deux innocents pour l’assassinat de l’icône de la cause des personnes noires dans les années 1960 aux Etats-Unis.
La disparition de Malcolm X fut un coup de tonnerre dans l’histoire douloureuse des Afro-Américains. Une « tragédie (…) ressentie dans le monde entier et aggravée par le fait qu’elle a conduit à la condamnation et à l’emprisonnement de deux jeunes hommes noirs innocents en Amérique », a dénoncé l’avocat David Shanies.
Il a confirmé les chiffres du New York Times : 26 millions de dollars versés par la ville de New York et dix millions de dollars de l’Etat de New York.Muhammad Aziz, libéré en 1985, et Khalil Islam, libéré en 1987 et décédé en 2009 à 74 ans, ont toujours clamé leur innocence.
Le troisième condamné, Mujahid Abdul Halim, avait lui reconnu à l’époque avoir tiré sur Malcolm X, et avait mis ses deux co-accusés hors de cause, mais en vain. Jusqu’à ce que la justice de New York rouvre le dossier en 2020.
Il a en effet fallu attendre la diffusion en février 2020 d’un documentaire sur Netflix (« Who Killed Malcolm X? »), renouvelant les doutes sur la présence de MM. Aziz et Islam sur les lieux de l’assassinat.
Après des mois d’enquête en révision, le procureur de l’époque de Manhattan, Cyrus Vance, s’était allié aux avocats des deux hommes et à une organisation, « The Innocence Project », qui lutte contre les erreurs judiciaires, pour déposer une motion d’annulation devant la Cour suprême new-yorkaise.
Et en novembre dernier, en direct à la télévision et sous les applaudissements, le procureur Vance avait présenté les « excuses » des autorités judiciaires américaines pour des « décennies d’injustice » et des « violations inacceptables de la loi et de la confiance de l’opinion publique ».
Devant la cour, il avait « reconnu la gravité de cette erreur » judiciaire, sans s’étendre sur les rumeurs concernant le rôle trouble joué à l’époque par la police fédérale (FBI) et celle de New York.
Au moment de son assassinat, Malcolm X, 39 ans, figure radicale de la cause afro-américaine, accusé par ses détracteurs d’appeler à la violence et au séparatisme, avait quitté « Nation of Islam » et opéré un virage plus consensuel.
Il avait été alors menacé par des membres de son ancien mouvement et son domicile à New York avait été la cible d’un attentat quelques jours plus tôt.
Le documentaire de Netflix s’appuie sur la thèse d’un historien non-professionnel de Washington, Abdur-Rahman Muhammad, défendant l’innocence de MM. Aziz et Islam et que le troisième condamné, qui avait reconnu les faits, avait agi avec quatre autres membres de « Nation of Islam » d’une mosquée de Newark, dans le New Jersey, près de New York.
Le meurtre de Malcom X avait secoué les Etats-Unis, en pleines tensions politiques et sociales dans les années 1960, marquées par l’assassinat du président John F. Kennedy en 1963 et celui en 1968 de la figure des droits civiques, Martin Luther King.
Avec AFP